Portrait dans Libération du 20 janvier 1998                                                          V. Sanson

Allez à :  www.liberation.fr/quotidien/portrait, lire les portraits de Libération.

 

Véronique Sanson, 48 ans, est en retour de chant. Concerts en cours, album imminent... Propos sur le stress et les éternels hommes-femmes.

Pas comme on l'imagine

sanson1998.jpg (31779 octets) VÉRONIQUE SANSON EN 8 DATES

24 avril 1949.
Naissance à Boulogne (92).

1969.
"Le Printemps est là", premier 45t avec Michel Berger.

1972.
"Amoureuse", premier album.

1973.
Mariage avec Stephen Stills; s'installe dans le Colorado.

1983.
Retour en France.

1988.
"Moi, le venin", neuvième album.

1989.
En pleine affaire Rushdie, menaces de mort à cause d'"Allah" (retiré de ses concerts).

1998.
Concerts à Paris et en province, sortie de son onzième album, "Ouf..!"

 


Par FRANÇOISE-MARIE SANTUCCI
Photo ARNAULT JOUBIN
Le 20/01/98

 

Elle dit d'emblée le stress et la fatigue. On est ce jour-là à quarante-huit heures de la première parisienne dans sa salle fétiche du Palais des sports. Véronique Sanson s'affale dans le canapé crème de ses loges, décapsule une bière, reprend son souffle; il est quasiment minuit. Enfin un moment de calme. Depuis une semaine, les répétitions filent: encore une foule de choses à régler, les paroles des chansons à réapprendre, le décor qui fait des siennes. Le manager jongle comme il peut avec les rendez-vous et glisse: "On est vraiment à la bourre."

Cette angoisse des derniers instants, Sanson la subit sans s'esquiver. Les nerfs en pelote, elle dort peu, n'écoute rien, savoure presque: "Il ne faut jamais se détendre dans ces moments. La misère abominable de la terreur, je ne veux pas qu'on m'en fasse dévier." Sans cesse repoussé, son album studio, le premier depuis cinq ans, ne sortira qu'en février après les concerts parisiens: un contretemps rare dans le marketing millimétré du disque. Elle avoue, ce fut une corvée, "moins rigolo qu'avant". Signe de la délivrance et de l'épuisement, elle l'a baptisé (provisoirement?) Ouf...! "J'ai mis un temps fou à le composer, à le vivre. J'ai des blocs-notes partout dans ma maison, je griffonne tard la nuit, dans un silence merveilleux, où personne ne vient me dire: "Alors, c'est quoi la liste de courses?" Mais, le lendemain, je relis, que couic et tabatière! Et je perds tout. Comme je n'ai aucune idée du rangement, je retrouve deux ans plus tard des bouts de papiers derrière ma table de nuit, sous l'aspirine." Les quelques chansons déjà mises en boîte portent sa "marque": piano, cuivres, beaucoup de rythme et cette voix en rupture, si reconnaissable, qui évoque ce que "tout le monde ressent: l'amour, la détresse, le désespoir".

Drôle de personnage que cette Sanson, plus lunaire et moins gaie que prévu, s'avouant casanière quand on la croyait fêtarde. Seule auteur-compositeur-interprète à vendre autant de disques depuis si longtemps (ses dernières moyennes tourneraient autour de 500 000 exemplaires), figure inamovible du paysage musical français à la cote d'amour élevée (après rapide sondage), on connaît sa vie par bribes, comme celle d'une amie qu'on suivrait de loin en loin: enfance bourgeoise, rencontre avec Michel Berger et premier 45 tours en 1969 ("j'ai dû en vendre 92, en comptant les voisins, la famille et le chien"), mariage avec Stephen Stills et exil américain, retour en France, "affaire" Allah, multiples tournées et bande de potes (Lara, Maurane, Lavil), union avec Palmade.

Au milieu de la nuit, les techniciens peaufinent encore les lumières, dans sa loge elle grille clope sur clope et se détend. Parle de ses parents. Ils se sont rencontré dans un réseau de résistance ("mais un vrai, de 1940"), sa mère était une spécialiste des explosifs. "Un jour, je n'arrivais pas à déraciner un arbre chez moi. Elle me dit: "Fais un pain de plastic". Comment? "Ça, ma fille, je ne te le dirai jamais"." D'eux, elle confie avoir hérité le goût de l'amitié, de la fidélité, du secret. Comme une espionne? Presque: "Il ne faut jamais rien dire aux gens, se préserver des ennemis." En a-t-elle beaucoup? Elle élude, bifurque sur son incroyable naïveté qui lui joue des tours. On peine à imaginer Véronique Sanson donner sa Carte bleue et son code bancaire à "quelqu'un dans la merde", pourtant elle affirme l'avoir fait. Le temps n'y change rien. "Je ne retiens aucune leçon des événements, je fais confiance dès le départ, je suis la fille la plus gentille du monde." Un peu parano et déconnectée: l'empreinte du show-biz, en somme. Elle dément: "Non, je fuis tout ça, je ne suis pas mondaine, ça me sauve." Lassée ou assagie par quelques ennuis de santé l'an dernier, Sanson ne court plus les rues, sauf quelques bars où elle s'offre un coup incognito. Son point d'ancrage, c'est la famille, cette "Société d'admiration mutuelle" à laquelle adhèrent père, mère, sœur, neveu et fils. Ce dernier, Christopher Stills, va d'ailleurs défendre son premier disque au Midem cannois cette semaine. Maman est ravie: "Il a 23 ans, mais c'est toujours mon bébé. Je l'admire beaucoup. Surtout qu'avec les parents qu'il a, on l'attend au tourment." Elle rit du lapsus, dit trois mots gentils pour Stephen Stills, avec qui le divorce fut orageux ­ "je ne suis pas rancunière". Aujourd'hui, ça va, il vient d'être papa.

Cette éternelle Amoureuse, qui séduisit les hommes comme ils draguent les femmes ­ sans complexe, avec fougue et bravade ­, est mariée depuis bientôt trois ans avec Pierre Palmade. Tout se déroule pour le mieux, dit-elle, hormis les paparazzi qui l'ont salie. "Ces salauds, on aurait dû faire sauter leurs bureaux." Véronique Sanson a aussi des comptes à rendre aux hommes. L'une de ses nouvelles chansons énumère les Tyrans que le monde a subis. Echauffée, elle abat ses arguments: "Si les femmes gouvernaient cette planète, y aurait-il autant de tragédies? On n'est quand même pas pareilles, on va pas faire la guerre pour piquer le jouet du voisin, non? Chez les mecs, ça semble endémique." On avance le cas Margaret Thatcher et les fameuses Malouines. "Ça n'a rien à voir, Thatcher avait raison, il ne faut jamais céder face au terrorisme." La confusion ne l'arrête pas, au contraire: "Ne parlons pas de l'Algérie ou de l'Afghanistan, où les femmes sont frappées, assassinées, claquemurées chez elles. Elles ne peuvent plus étudier, ne sont là que pour faire des gosses." Une pause. Raide sur le bord du canapé, elle réfléchit, ficelle son raisonnement à la va-vite: "Pourquoi les hommes nous détestent-ils tellement depuis des millénaires? Parce que, en fait, ils ne sont jamais sûrs que leurs enfants sont bien d'eux."

On glisse sur le cannabis, autre motif d'énervement. Le mois dernier, l'envoi de joints à tous les députés l'a bien fait rire. Leur hypocrisie, beaucoup moins. "Tous ces mecs qui s'excitent contre ça, et qui doivent aller voir des putes pour se faire fouetter!" Il se fait tard, elle fait mine de conclure. Pour retrouver sa maison, à 40 kilomètres de Paris, où l'attendent ses 14 chiens et chats, où elle déteste se réveiller seule, mais bon, "Pierre est en tournée". Le visage se contracte par instants, le trac revient. "C'est bon signe, je m'en accommode. Pas comme la désespérance. Ça m'arrive d'aller mal, même si je me pousse à l'optimisme. Dans ces cas-là, où on n'espère plus rien de rien, je reste chez moi, je n'ai pas envie qu'on me voit comme ça, par pudeur." Joint-elle ses proches? Surtout pas. "Si un jour j'ai besoin de parler à quelqu'un, je n'appelle personne. Je ne pourrai jamais dire: "Allô, ça ne va pas". J'ai une vraie terreur de me livrer à quelqu'un." Face à des milliers de personnes, c'est finalement beaucoup plus simple.