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Antoine Riboud.
Peu de sociétés réussisent à changer de secteur. Avec Antoine Riboud, BSN est passé du verre plat à l'agro-alimentaire et est devenu Danone.
J'ai eu la chance  de l'écouter lors de réunions d'informations sur Danone ou lors de voyages. Il était passionnant et humain.
Il vient de nous quitter et Le Nouvel Observateur (16 mai 2002 - n°1958)  lui rend hommage


Ils se souviennent d’Antoine Riboud Un homme libre

Le bâtisseur du groupe Danone est décédé samedi 4 mai 2002 . Deux de ses amis de trente ans évoquent ce personnage hors du commun. Michel David-Weill, son banquier depuis 1968, parle du capitaine d’industrie visionnaire, qui bâtit le groupe verrier BSN, avant de le reconvertir dans l’agroalimentaire.
Jacques Chérèque, ex-patron de la CFDT Métallurgie, nous raconte le «chevalier blanc» des Lip

"Antoine Riboud était avant tout un homme libre, un homme sans préjugés, qui ne se laissait pas enfermer dans les conventions. Il était à la fois très attaché à la ville de Lyon, mais très contre la bourgeoisie lyonnaise; très en faveur de la libre entreprise, mais privilégiant les relations contractuelles avec les gens au travail… Il était très libre vis-à-vis de l’argent, sans rejet ni gloutonnerie. Très libre par rapport au pouvoir et au monde politique aussi, car il n’était ni à droite, ni à gauche, ni au centre. Libre enfin dans son comportement, avec des signes extérieurs amusants, comme cet irrespect presque intentionnel de la syntaxe. Ce qui était rare, chez lui, c’est ce mélange de liberté et d’ancrage presque terrien, qui s’exprimait notamment dans son vin de Savoie.
Antoine incarnait, au fond, la grande tradition libérale de la bourgeoisie française, celle des Lumières. Et, grâce à cela, il avait une vision à 360 degrés, absolument ouverte: rien a priori n’était pour lui exclu, ou impossible. Sa deuxième force – qui est peut-être l’un des secrets des grands bâtisseurs d’affaires – était la gaieté. Une gaieté communicative, qui lui faisait aimer la vie et les autres.
Il avait, de ce fait, une grande capacité à surprendre. Mais s’il savait envisager les choses les plus aventureuses, il ne se départait pas d’une prudence presque instinctive. «N’oubliez pas que je suis de Lyon!», disait-il parfois à celui qui voulait le pousser trop loin. Aussi, même dans ses opérations les plus hardies – comme l’OPE hostile sur Saint-Gobain en 1968 –, Antoine Riboud a su garder la tête froide. Il n’a pas voulu se laisser entraîner à surpayer. Il avait aussi une certaine timidité concernant le marché américain. Parce que, compte tenu de sa personnalité, il fallait qu’il puisse atteindre toutes ses filiales en moins d’une heure d’avion. Et aussi, peut-être, parce qu’il avait cette caractéristique amusante de parler l’anglais… mais de mal le comprendre!
Antoine Riboud était un homme moderne. Il a su anticiper ce que les consommateurs désiraient et, venant de l’industrie lourde, a montré un intérêt atypique pour le marketing et les qualités intrinsèques de ses produits. La plupart des gens n’ont qu’un type de génie. En allant du verre à l’agroalimentaire, Antoine est entré dans «son» domaine. Il a su acheter: parce qu’il lui fallait acquérir rapidement une part de marché suffisante pour compter, il considérait qu’une petite acquisition était plus dangereuse que deux grosses! C’est pourquoi en 1970 il a acquis coup sur coup Kronenbourg puis la Société européenne de Brasserie.
Mais aussi, ce qui est plus rare, Antoine a eu le courage de vendre. Tranchant avec ces patrons qui se sentent investis d’une mission de continuation, il s’est séparé du verre plat, alors que Souchon-Neuvesel avait conquis Boussois de haute lutte… Il est extrêmement rare qu’une société arrive à changer complètement de métier sans se perdre. Je me souviens que, pendant les années intermédiaires où le groupe faisait coup sur coup des acquisitions dans l’agroalimentaire, l’action BSN se tenait mal en Bourse… Face aux critiques du marché, Antoine Riboud affichait une superbe indifférence. Il avait raison: il a ensuite multiplié le cours de son titre par 10.
Antoine était un grand meneur d’hommes. Parce qu’il savait faire confiance, il avait cette faculté d’obtenir des autres une affection et un dévouement sans limites. Cela a été mon cas, et aussi celui de Daniel Carasso, grâce auquel BSN a fusionné avec Gervais-Danone. Antoine était extrêmement fidèle en amitié: il faisait partie de ces rares personnes sur lesquelles on sait qu’on peut vraiment compter. Elégant, de manières comme de cœur. "                M. D.-W.

 

 

L’anticonformiste militant

"En cette année 1973, toute la France se passionne pour la cause des ouvrières et ouvriers de la fabrique bisontine de montres Lip. «On produit, on vend, on se paie» est le triple slogan qui résume le fondement autogestionnaire de leur lutte en pays franc-comtois, patrie de Proudhon. Combat inégal que seule une bonne dose d’utopie peut rendre victorieux.
C’est dans ce contexte qu’un message parvient à Edmond Maire et à moi-même: le patron de BSN veut parler avec la CFDT. Antoine Riboud, qui nous reçoit au siège de son groupe, veut comprendre les ressorts du conflit, les motivations profondes des ouvriers, la stratégie que poursuit la CFDT. Il fait part de sa vision des évolutions industrielles en cours, de l’expérience de son assaut infructueux sur Saint-Gobain, de son approche des problèmes économiques et sociaux.
Il dit l’importance qu’il accorde à la place des hommes dans l’entreprise, et son irritation de voir le patronat français frileux et coincé, sans vision globale d’avenir.
Enfin, il se déclare prêt à prendre des risques pour faire déboucher le conflit des Lip sur un projet de progrès industriel et humain.
Dès lors, un partenariat hors du commun se met en place autour des hommes de Riboud, comme José Bidegain, des experts de Syndex et des dirigeants de la CFDT Métallurgie, comme Albert Mercier et Alfred Moutet, ceux du PSU tels Michel Rocard et l’avocat Tony Dreyfus, pour bâtir le plan de reprise susceptible de relancer Lip.
Claude Neuschwander, le publiciste pressenti pour être le nouveau patron, plaide brillamment la cause devant le ministre de l’Industrie Jean Charbonnel, qui approuve et en profite pour claquer la porte du gouvernement de Pierre Messmer. Antoine Riboud n’est pas mécontent de prendre aussi à contre-pied un Premier ministre qui, drapé dans sa raideur, a proclamé: «Lip, c’est fini!»
Restent «les Lip», auxquels il faut donner toutes les garanties. Les mises au point sont mouvementées et parfois rocambolesques. Elles donnent l’occasion à Antoine Riboud de piquer quelques-unes de ses colères homériques. Mais les accords de Dole concluent la partie épique de l’aventure.
Il y eut la pittoresque restitution du trésor de guerre des Lip – collection de montres en or ou à quartz – par une nuit noire, dans un bâtiment municipal prêté secrètement par le ministre-maire centriste de Dole, Jacques Duhamel. Et c’est Antoine Riboud en personne qui prit en charge deux sacoches pleines de billets de banque et de monnaie, reliquat de la vente illégale des montres. Comme gage de sa bonne foi et de son engagement irréversible, il les déposa, dans l’attente de leur restitution, dans son coffre personnel… au grand dam de son banquier!
L’aventure industrielle des Lip n’a pas survécu aux rudes assauts du temps. Cependant, elle a contribué à améliorer les droits des salariés confrontés aux mutations technologiques. Antoine Riboud a, depuis, inlassablement démontré la nécessité de prévoir et d’anticiper le changement pour que ses conséquences néfastes ne soient pas une fatalité.
Il a ainsi pris et suscité bien des initiatives, hors du champ des appareils traditionnels, tel ce cénacle de hauts responsables industriels et syndicaux, qu’il a maintes fois réuni pour monter des expériences novatrices.
Antoine Riboud l’anticonformiste a, toute sa vie, conjugué capacité managériale exceptionnelle et desseins d’avant-garde. L’Entreprise fut sa passion et l’Homme son combat.
Il vient de nous quitter. Nous sommes tristes, très tristes.
C’était mon ami. "
J. C.