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La
dictature du whisky Il y a en France,
aujourd'hui à peu près autant de gens qui se veulent connaisseurs en matière
de whisky que de gens qui boivent du whisky. Cela vient, sans doute, de ce
qu'il y a d'abord une littérature très importante sur la question, ensuite
de ce que l'on boit partout du whisky et seulement du whisky, enfin de ce
que le whisky étant, généralement, une boisson tout à fait quelconque, tout
le monde se croit obligé d'en dire quelque chose. Le premier donc, dira que
le whisky qu'on vient de lui offrir n'est pas fameux, mais qu'il a goûté un
jour le vrai des vrais, le Very Very Old Special Grandfather McPlouck Very
Very Dark Label 17 years Old. le second dira que le Very Very Old Special
Grandfather McPlouck Very Very Dark Label ce n'est pas mal, sans plus, mais
que ça ne vaut pas le God Save the Queen Really Special Highest Labelled
Oldest Stuff of the Very Little Scottish Island in the Middle of the Sea,
lequel mérite un détour si l'on voit ce qu'il veut dire. Le troisième dira
que le God Save the Queen Really Special Highest Labelled Oldest Stuff of
the Very Little Scottish Island in the Middle of the Sea, certes est un bon
whisky, à condition qu'il soit vraiment oldest, c'est-à-dire 23 years old,
et vieilli dans un tonneau de merisier béni par l'évêque d'Inverness, mais
que la plupart du temps on nous vends sous ce nom une mixture fabriquée en
Espagne à partir du trop-plein d'une brasserie locale, et que la merveille
des merveilles, celle qui vaut le déplacement et mérite d'être bue chambrée
dans un verre à liqueur en fermant les yeux, c'est le Her Majesty's Mystery
Score when Lit 001 Centenarian. Sur quoi le premier répondra qu'il est
hérétique de boire le whisky chambré, qu'il faut faire refroidir le verre,
jamais la bouteille, dans de la glace pilée. Le troisième répliquera que les
Écossais etc...
Évidemment, tout cela est faux. La vérité sur le whisky,
la voici :
1) le whisky est un alcool de grains, fabriqué un peu
n'importe comment quelque part en Grande-Bretagne. 2) Il a rarement plus de
18 mois quand on le consomme. 3) Les Américains, n'en boivent pas, ni les
Russes, ni les Chinois, ni les Belges, ni les Espagnols. Pas même les
Anglais, qui préfèrent le gin, pas même les Écossais, qui sont trop contents
d'avoir trouvé où l'exporter. 4) C'est la boisson nationale des Français qui
savent le boire de trois façons, et de trois façons seulement — avec des
cubes de glace, avec de l'eau du robinet encore appelée eau plate, avec de
l'eau rendue pétillante par adjonction de gaz carbonique, ces trois
manœuvres ayant une même fonction : ajouter suffisamment d'eau au breuvage
pour rendre l'ensemble à peu près potable.
Dans la quasi-totalité des cocktails publics ou privés,
le whisky exerce une véritable dictature : l'individu qui n'apprécie pas le
champagne entre les repas (quand je dis champagne, je suis gentil) et n'a
pour les jus de fruits (quand je dis jus de fruits, je suis bien bon) qu'un
culte de pure forme, est condamné à boire du whisky ou à ne pas boire. Il
est temps que cette tyrannie prenne fin.Il devient urgent d'entreprendre une
nouvelle croisade. Maîtresses de maisons, barmen, maîtres des bibitions,
libations et autres réjouissances, c'est à vous que je m'adresse : Offrez le
choix ! N'obligez pas à boire du whisky !I
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