Paul MORAND |
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Apprendre à se reposer:
Le vrai luxe et que personne ne pense plus à s'offrir, c'est de prendre son temps. Comme on l'a fait souvent remarquer, les doctrines nouvellement acclimatées chez les anglo-saxons, Crhristian Science, Yogis ou Vendetas, les idées shinto pour le Japon et même, peut-être, le néo-thomisme pour la Frane, viennent s'opposer au culte de la vitesse. M. Paul Souday reprenait jadis avec sévérité Mac Orlan pour avoir écrit : " il n'ya qu'une chose qui compte, la vitesse", et le rabrouait ainsi : "Il ne faut pas prendre les moteurs pour les lanternes. Tout ce matériel est utile aux gens d'affaires...." (M. Souday pourrait ajouter que Mercure, qui est à la fois le dieu du comerce et celui de la vitesse, set sans doute l'inventeur de l'arbitrage en Bourse), "mais la pensée, qui importe avant tout, n'exige pas cette accélération. Elle se trouve même assez bien du loisir et d'une sage lenteur."
Ne vous piquez pas d'une folle
vitesse enseigne Boileau avant M. Souday.
N'oublions pas que la vitesse affaiblit ; les neurologues nous le répètent. Nous ne
savons plus la mesure, nous ne distinguons plus entre aller vite et aller le plus loin
possible ; le record est roi. Or le paroxysme tue. Les voitures à turbocompresseur ont la
vie courte. Ce tout-puissant prestige sportif est absurde, puisque les progrès
mécaniques le remettent continuellement en question. Le record est moins une affirmation
que la négation de ce qui précède. Il est infini et sans but, cent trois mètres à la
seconde sur terre : nous rirons demain de cette lenteur. A voir passer ce bolide, vous
allez vous imaginer que rien ne va lui résister ? Je demandais cte hiver à notre
champion du monde en auto, Chiron, à son retour d'Indianapolis, ce qu'à deux cents à
l'heure, il redoutait le plus. "Ce sont, répondit-il, les poches d'air." La
vitesse est devenue chez ces athlètes quelque chose de si précis, de si aigu, qu'un
courant d'air risque de les faire tomber, comme elle ferait d'un enfant. L'extrême force
rejoint là l'extrême faiblesse.
On attendait peut-être de moi un
éloge de la vitesse, et voilà que je parais la condamner. Pas absolument. Je ne suis pas
comme un critique refusant de reconnaître un apport nouveau ou comme Thiers vouant le
télégraphe à n'être "qu'un amusement pour les personnes curieuses de
physique" ou affirmant à la tribune que le chemin de fer est sans avenir "parce
que les roues glisseront sans avancer jamais". J'essaie de mesurer la vitesse, de me
mesurer avec elle, de la domestiquer. "Téléphone, télégraphe, radio ont rendu
possible -jusqu'à en être inquiétant- l'échange rapide des télécommunications,
écrit M. Aneski. Mais qu'avons-nous à communiquer ? Des cotes de la Bourse, des
résultats de football, et des histoires de couchage. L'homme résistera-t-il à
l'accroissemnt formidable de puissance dont la science moderne l'a doté ou se
détruira-t-il en la maniant ? La science ne saurait répondre à ces questions. Ou bien
l'homme sera-t-il assez spirituel pour savoir se servir de sa force nouvelle ?" Nous
sommes de race équilibrée et, pas plus que les autres monstres, celui-ci ne doit nous
faire peur. J'entendais dernièrement une femme d'esprit, au cours d'une représentation
de Don Juan, dire des personnages de Mozart cette chose si juste : "Ils vont
très vite, mais s'ils voulaient, ils pourraient aller lentement." Soyons comme eux,
maitres de régler notre allure. Il faut être rapide, mais à condition de porter en soi
un contrepoids. Pourquoi, si impatients de toute autorité, accepter sans examen la
dernière en date des tyrannies ? Formulons une loi nouvelle de résistance à la vitesse.
Pas d'autre pente que notre volonté. " Vérification de l'équilibre par le
mouvement ", écrit Claudel. La possession des richesses ne désorganise pas l'homme
qui sait conserver le sentiment de leur néant. La religion nous a appris cela, et toutes
les morales. Le sage s'efforce de ne pas voir les premiers plans immédiats, qui
s'enfuient, mais de fixer les yeux sur les lointains, qui sont immobiles.
Le vrai repos vient de nous.
Apprendre à se reposer( 1937)
Voyager, c'est demander d'un coup à la distance ce que le temps ne pourrait nous donner que peu à peu. |
Voyager, c'est être infidèle. Soyez-le sans remords ; oubliez vos amis avec des inconnus. |
Le Créateur a raté ce monde-ci, pourquoi aurait-il réussi lautre ? |
Que de temps perdu à gagner du temps ! |
Les grandes oeuvres sont toutes des vengeances, les chefs-d'oeuvre sont tous des revanches. Je crois que c'est la loi de fer des écrivains : ils ne réussissent leurs livres que dans la mesure où ils ont raté leur vie. |
Les salons et les académies tuent plus de révolutionnaires que les prisons ou les canons. |
Tout ce que je fais, je le fais vite et mal, de peur de cesser trop tôt d'en avoir envie. |
Nos pères furent sédentaires. Nos fils le seront davantage car ils n'auront, pour se déplacer, que la terre. |