sommaire Emil Cioran |
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THEMES |
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Rire est la seule excuse de la vie, la grande excuse de la vie ! |
L'essentiel surgit souvent au bout d'une longue conversation. Les grandes vérités se disent sur le pas de la porte. |
Quand on rencontre quelqu'un de vrai, la surprise est telle qu'on se demande si on n'est pas victime d'un éblouissement. |
Compté en vain sur l'aubaine d'être seul. Toujours escorté par soi-même ! |
Il est effrayant, bien que raisonnable, de n'avoir aucune illusion sur personne. |
La lucidité : un martyre permanent, un inimaginable tour de force. |
Quand on sait que tout problème est un faux problème, on est dangereusement près du salut. |
Nous sommes tous des farceurs : nous survivons à nos problèmes. |
Dans les épreuves cruciales, la cigarette nous est d'une aide plus efficace que les évangiles. |
L'être idéal ? Un ange dévasté par l'humour. |
Je suis distinct de toutes mes sensations. Je n'arrive pas à comprendre comment. Je n'arrive même pas à comprendre qui les éprouve. Et d'ailleurs qui est ce je au début des trois propositions? |
Tout n'est pas perdu, tant qu'on est mécontent de soi. |
Tout est salutaire, sauf s'interroger instant après instant sur le sens de nos actes, tout est préférable à la seule question qui importe. |
Point d'instant où je n'en revienne pas de me trouver précisément dans cet instant-là. |
Ce n'est pas la peur d'entreprendre, c'est la peur de réussir, qui explique plus d'un échec. |
Il n'est guère qu'un signe qui atteste qu'on a tout compris : pleurer sans sujet. |
Il est évident que Dieu était une solution, et qu'on n'en trouvera jamais une autre qui soit aussi satisfaisante. |
Je donnerais tous les paysages du monde pour celui de mon enfance. |
La vérité ? Une marotte d'adolescent, ou un symptôme de sénilité. |
Les opportunistes ont sauvé les peuples ; les héros les ont ruinés. |
Tous les penseurs sont des ratés de l'action et qui se vengent de leur échec par l'entremise des concepts. |
La malhonnêteté d'un penseur se reconnaît à la somme d'idées précises qu'il avance. |
L'on ne peut goûter à la saveur des jours que si l'on se dérobe à l'obligation d'avoir un destin. |
Le fait que j'existe prouve que le monde n'a pas de sens. |
L'homme est libre, sauf en ce qu'il a de plus profond. A la surface il fait ce qu'il veut; dans ses couches obscures, "volonté" est vocable dépourvu de sens. |
N'a de conviction que celui qui n'a rien approfondi. |
Bien plus que le temps, c'est le sommeil qui est l'antidote du chagrin. |
Se méfier des penseurs dont l'esprit ne fonctionne qu'à partir d'une citation. |
À quoi bon fréquenter Platon, quand un saxophone peut aussi bien nous faire entrevoir un autre monde ? |
Ce qui n'est pas déchirant est superflu, en musique tout au moins. |
Personne ne fait de la psychologie par amour: mais plutôt par une envie sadique d'exhiber la nullité de l'autre, en prenant connaissance de son fond intime, en le dépouillant de son auréole de mystère. |
J'ignore totalement pourquoi il faut faire quelque chose ici-bas, pourquoi il nous faut avoir des aspirations, des espoirs et des rêves. |
Je décèle immanquablement une faille chez tous ceux qui s'intéressent aux mêmes choses que moi. |
La philosophie hindoue poursuit la délivrance, la grecque à l'exception de Pyrrhon, d'Épicure et de quelques inclassables est décevante : elle ne cherche que la vérité. |
Quand on doit prendre une décision capitale, la chose la plus dangereuse est de consulter autrui, vu que, à l'exception de quelques égarés, il n'est personne qui veuille sincèrement notre bien. |
Impossible de dialoguer avec la douleur physique. |
On peut tout imaginer, tout prédire, sauf jusqu'où on peut déchoir. |
Mon faible pour Talleyrand; Quand on a pratiqué le cynisme en paroles seulement, on est plein d'admiration pour quelqu'un qui l'a traduit magistralement en actes. |
Seul un médiocre souhaitera, pour mourir, atteindre le stade de la vieillesse. Souffrez donc, enivrez-vous, buvez la coupe du plaisir jusqu'à la lie, pleurez ou riez, poussez des cris de joie ou de désespoir- il n'en restera rien de toute manière. Toute la morale n'a d'autre but que de transformer cette vie en une somme d'occasions perdues. |
Oeuvrer de toutes ses forces pour le seul amour du travail, tirer de la joie d'un effort qui ne mène qu'à de accomplissements sans valeur, estimer qu'on ne peut se réaliser autrement que par le labeur incessant- voilà une chose révoltante et incompréhensible. |
Il me suffit d'entendre quelqu'un parler sincèrement d'idéal, d'avenir, de philosophie, de l'entendre dire "nous" avec une inflexion d'assurance, d'invoquer les "autres", et s'en estimer l'interprète,- pour que je le considère mon ennemi. |
Tous les êtres sont malheureux; mais combien le savent? |
Comme il est malaisé d'approuver les raisons qu'invoquent les êtres, toutes les fois qu'on se sépare de chacun d'eux, la question qui vient à l'esprit est invariablement la même: comment se fait-il qu'il ne se tue pas? |
Par quelle supercherie deux yeux nous détournent-ils de notre solitude? Est-il faillite plus humiliante pour l'esprit? |
Toute amertume cache une vengeance et se traduit en un système: le pessimisme,- cette cruauté des vaincus qui ne sauraient pardonner à la vie d'avoir trompé leur attente. |
J'appelle simple d'esprit tout homme qui parle de la Vérité avec conviction: c'est qu'il a des majuscules en réserve et s'en sert naïvement, sans fraude ni mépris. |
L'idée du néant n'est pas le propre de l'humanité laborieuse: ceux qui besognent n'ont ni le temps ni l'envie de peser leur poussière; ils se résignent aux duretés ou aux niaiseries du sort; ils espèrent: l'espoir est une vertu d'esclaves. |
Entre la génèse et l'apocalypse, règne l'imposture. Il est important de le savoir, car cette évidence vertigineuse, une fois assimilée, rend superflue toutes les recettes de la sagesse. |
Ce n'est pas par le génie, c'est par la souffrance, par elle seule, qu'on cesse d'être une marionnette. |
Il faut une immense humilité pour mourir. L'étrange est que tout le monde en fasse preuve. |
La pâleur montre jusqu'où le corps peut comprendre l'âme. Le crépuscule des pensées, Oeuvres p 411 |
Si le chien est le plus méprisé des animaux, c'est que l'homme se connaît trop bien pour pouvoir apprécier un compagnon qui lui est si fidèle. |
Si tu ne veux pas crever de rage, laisse ta mémoire tranquille, abstiens-toi d'y fouiller. |
Le rire est un acte de supériorité, un triomphe de l'homme sur l'univers, une merveilleuse trouvaille qui réduit les choses à leurs justes proportions. |
Nous ne pardonnons qu'aux enfants et aux fous d'être francs avec nous : les autres, s'ils ont l'audace de les imiter, s'en repentiront tôt ou tard. |
Une civilisation débute par le mythe et finit par le doute. |
Entre une gifle et une indélicatesse, on supporte toujours mieux la gifle. |
Un homme ennuyeux est un homme incapable de s'ennuyer. |
Corse, Andalousie, Provence, Cette planète n'aura donc pas été inutile.. cahiers, p 20 |
Si tous les jours, j'avais de courage de hurler pendant un quart d'heure, je jouirais d'un équilibre parfait. cahiers, p 37 |
Tout compte fait, la vie est une chose extraordinaire. cahiers, p 37 |
L'homme va inévitablement à la catastrophe. Tant que j'en demeurerai persuadé, je m'intéresserai à lui, avec avidité, avec passion. cahiers, p 40 |
Ce qui est impermanent est
douleur, ce qui est douleur est non-soi." Il est difficile, il est même impossible d'être d'accord avec le bouddhisme sur ce point, capital pourtant. La douleur est pour nous ce qu'il y a de plus nous-mêmes, de plus soi. Quelle religion étrange ! Elle voit de la douleur partout et elle la déclare en même temps irréelle. |
Sur les cimes du désespoir : "Une constatation que je peux vérifier, à mon grand regret, à chaque instant: seuls sont heureux ceux qui ne pensent jamais, autrement dit ceux qui ne pensent que le strict minimum nécessaire pour vivre. La vraie pensée ressemble, elle, à un démon qui trouble les sources de la vie, ou bien à une maladie qui en affecte les racines mêmes. Penser à tout moment, se poser des problèmes capitaux à tout bout de champ et éprouver un doute permanent quant à son destin; être fatigué de vivre, épuisé par ses pensées et par sa propre existence au-delà de toute limite; laisser derrière soi une traînée de sang et de fumée comme symbole du drame et de la mort de son être - c'est être malheureux au point que le problème de la pensée vous donne envie de vomir et que la réflexion vous apparaît comme une damnation." |
Je sais que ma naissance est un hasard, un accident
risible, et cependant, dès que je m'oublie, je me comporte comme si elle était
un événement capital, indispensable à la marche et à l'équilibre du monde. De l'inconvénient d'être né, in Oeuvres, coll. Quarto, éd. Gallimard, p. 1273 |
Que tout soit dépourvu de consistance, de fondement,
de justification, j'en suis d'ordinaire si assuré, que, celui qui oserait me
contredire, fût-il l'homme que j'estime le plus, m'apparaîtrait comme un
charlatan ou un abruti. De l'inconvénient d'être né, in Oeuvres, coll. Quarto, éd. Gallimard, p. 1274 |
C'est
la volonté de donner notre maximum qui nous porte aux excès et aux dérèglements. De l'inconvénient d'être né, in Oeuvres, coll. Quarto, éd. Gallimard, p. 1288 |
À quoi la musique fait appel en nous , il est
difficile de le savoir; ce qui est certain, c'est qu'elle touche une zone si
profonde que la folie elle-même n'y saurait pénétrer. De l'inconvénient d'être né, in Oeuvres, coll. Quarto, éd. Gallimard, p. 1327 |
"L'homme ne durera pas. Guetté par l'épuisement, il devra payer pour sa carrière trop originale. Car il serait inconcevable et contre nature qu'il traînât longtemps et qu'il finît bien. Cette perspective est déprimante donc vraisemblable". Cette citation extraite de "De l'inconvénient d'être né" n'invite à priori pas à l'allégresse. Pourtant, comme la plupart des aphorismes de Cioran, elle cache une joie de vivre dont se souviennent ceux qui l'ont connu. Comme aucun autre il a dégusté l'absurdité de notre condition, s'est repu de l'incertitude, a raillé les vérités définitives. Il s'est dématérialisé jusqu'au dénuement pour n'exister que pour son œuvre, faite de phrases courtes mais pleines. Il est le philosophe du plus court chemin et il ne faut attendre de lui aucune longue démonstration...Il suffit d'ouvrir l'un de ses livres à n'importe quelle page pour réaliser qu'en plus d'être le plus pratique de nos penseurs, ce Roumain qui écrit dans notre langue est un des plus denses et certainement le plus drôle dans cette façon si particulière de frayer avec l'essentiel.....Cet homme qui avait trouvé assez de sensualité dans son désespoir, entretenu comme un jardin angIais, pour ne pas se supprimer verrait aujourd'hui d'un œil curieux notre suicide collectif avec une arme apparemment inoffensive: celle de l'égocentrisme lyrique....
Mais Cioran, malicieux, a distillé plus
haut dans la même page un peu de cette espérance dont il parait si
avare alors que ses textes en regorgent : « La vie ne
deviendrait supportable qu'au sein d'une humanité qui n'aurait plus aucune
illusion en réserve, d'une humanité complètement détrompée et ravie de
l'être. » Dans les "Syllogismes de l'amertume" il me touche au
quotidien par cette phrase qui justifie son mode d'expression:«
Ne cultivent l'aphorisme que ceux qui ont connu la
peur au milieu des mots, cette peur de crouler avec tous les mots. » |