MONTAIGNE

sommaire                         Né en Dordogne en 1533, Michel Eyquem de Montaigne a été membre du parlement de Bordeaux et maire de la ville. Il publie les deux premiers livres des « Essais » en 1580. Il meurt en 1592.                                           

AUTEURS
Camus,   Nietzsche,   Einstein, Desproges, Wolinski, Lacan, Gracian,  Cioran....

THEMES
l'Amitié, la Confiance, le Pouvoir, l'Ennui
...


PROVERBES DU MONDE.
Africains, Arabes, Allemands, Chinois, Russes, Québequois...


AUTRES CITATIONS
Aristophane, George Orwell, Jim Morrison..

 

 

Aphorismes Montaigne par Sollers  
  Essais Livre 1   Essais Livre 2   Essais Livre 3
En instaurant un rapport nouveau à l’homme et au savoir, Montaigne a marqué à jamais l’histoire de la pensée. Dans la tradition de l’humanisme de la Renaissance, il remonte aux racines de la pensée occidentale, redécouvrant par-delà le christianisme les sagesses païennes de l’Antiquité. Chez les grands sceptiques grecs, Sextus Empiricus ou Pyrrhon, il trouve notamment de quoi libérer la raison des illusions du savoir absolu et élaborer une hygiène propre à purger l’esprit du dogmatisme et du fanatisme qu’il engendre. La vraie philosophie, pour Montaigne, n’est pas celle qui rend plus savant, mais celle qui rend plus fort devant les vicissitudes de l’existence et la perspective de la mort, ce «saut du mal-être au non-être». Le pari tragique de Montaigne? Considérer la beauté et le charme infini de la vie, tout en sachant qu’il ne s’agit que d’un instant éphémère «dans le cours infini d’une nuit éternelle».

 

Montaigne par Frédéric Schiffter


1/ L’éveilleur
La question me gêne car elle m’oblige à un aveu. En tant que professeur de philosophie, je devrais bien sûr déclarer que tous les grands auteurs ont compté dans ma formation intellectuelle, mais ce n’est pas le cas. Je n’ai jamais pu terminer la lecture de Platon, de Kant ou de Hegel, ni pu commencer celle de Malebranche, de Locke ou de Comte. Ce que je sais de ces auteurs, je le tiens de leurs commentateurs, lus distraitement, et de quelques digests. Si bien que professionnellement, incapable de l’aisance que permet l’érudition, je m’efforce au sérieux de l’imposture. Une culture philosophique aussi superficielle s’explique par l’ennui profond qui m’affecte depuis l’enfance et qui inhibe chez moi le moindre désir d’approfondir. Dès lors, les auteurs sur lesquels je me suis attardé assez longuement sont ceux qui font court, je veux parler des moralistes, non des moralisateurs, qui mettent en formules leurs humeurs et leurs obsessions. Si Montaigne, Gracián, La Rochefoucauld, Chamfort, Nietzsche élaborent quelques grandes «idées», ils expriment surtout des pensées et n’ont d’autre souci de cohérence que celui du style.
Aux philosophes qui développent chapitre après chapitre une vision du monde, je préfère les penseurs qui classent à la diable, sous forme d’aphorismes, des vues parfois surexposées de leur existence. Je retire moins d’intérêt à contempler un ciel d’idées où je me perds qu’à scruter l’«égographie» d’un autre où je me reconnais. Mais j’accorde que cette préférence n’a pas grande valeur pour une «formation intellectuelle», si on entend par là la maîtrise d’une discipline qu’il faut enseigner ensuite à des élèves ou des étudiants. Maintenant, si on tient à inciter de jeunes esprits à réfléchir, il me semble que ce n’est pas tant par le truchement de la philosophie qu’on y parviendra que par celui de l’art. Le concept est une lorgnette trop imprécise pour percevoir la réalité ou la vie. L’œuvre d’art, en revanche, est une loupe. Pour parler comme un philosophe, qu’on me pardonne, je dirais qu’il y a plus à penser dans le sensible répété et grossi que dans le sensible rationalisé.

2/ L’inspirateur
L’Ecclésiaste, bien sûr, cet antique voyou métaphysique assez lucide pour nous prévenir que plus on a de sagesse, plus on a de chagrin.


3/ Et aujourd’hui?
Les philosophes actuels qui enseignent un art de vivre selon la vertu ou le plaisir, d’autres encore qui n’ont de cesse d’alerter l’opinionà tout propos, me font bâiller. Vouloir êtreun philosophe utile me semble inélégant.Je ne goûte que les auteurs qui me séduisent par un style, m’instruisent sans me donnerde leçons et me font rire par leur cruauté. Trois raisons pour lesquelles je lis, et relis, Clément Rosset. F. S.


Frédéric Schiffter enseigne la philosophie dans un lycée de la côte basque. Dernier ouvrage publié: «Sur le blabla et le chichi des philosophes» (PUF). 

Nouvel Observateur du 1/8/02

 

La vraie liberté est de pouvoir toute chose sur soi.

Qui se connaît, connaît aussi les autres, car chaque homme porte la forme entière de l'humaine condition

La politesse coûte peu et achète tout.

Je réponds ordinairement à ceux qui me demandent raison de mes voyages : que je sais bien ce que je fuis, et non pas ce que je cherche.

Si la vie n'est qu'un passage, sur ce passage au moins semons des fleurs

Le beaucoup savoir apporte l'occasion de plus douter.

Il n'y a pas une idée qui vaille qu'on tue un homme.

Dire de soi plus de mal qu'il n'y en ait, c'est sottise, non modestie.

Notre vie n'est que mouvement.

Il n'est réplique si piquante que le mépris silencieux.

Rien ne vient à nous que falsifié et altéré par nos sens.

Mon métier et mon art, c'est vivre.

J'aime mieux forger mon âme que la meubler.

Le monde n'est que variété et dissemblance.

La sagesse a ses excès et n'a pas moins besoin de modération que la folie.

L'une des plus grandes sagesses de l'art militaire, c'est de ne pas pousser son ennemi au désespoir.

Il faut se prêter à autrui et ne se donner qu'à soi-même.

Tu ne meurs pas de ce que tu es malade ; tu meurs de ce que tu es vivant.

Ne cherchons pas hors de nous notre mal, il est chez nous, il est planté en nos entrailles.

Il est toujours plus plaisant de suivre que de guider.

La plus grande chose du monde, c'est de savoir être à soi

L'homme est malmené non pas tant par les événements que, surtout, par ce qu'il pense des événements.

On ne peut abuser que de choses qui sont bonnes.

C'est une vie exquise, celle qui se maintient en ordre, jusque dans son privé.

Rien n'imprime si vivement quelque chose à notre souvenance que le désir de l'oublier.

Le plus âpre et difficile métier du monde, à mon gré, c'est faire dignement le roi.

Qui craint de souffrir, il souffre déjà ce qu'il craint.

Philosopher, c'est douter.

Il y a certaines choses que l'on cache pour les montrer.

La mort ne vous concerne ni mort ni vif : vif parce que vous êtes ; mort parce que vous n'êtes plus.

C'est une belle harmonie quand le dire et le faire vont ensemble.

La pauvreté des biens est facile à guérir, la pauvreté de l'âme, impossible.

Nous ne sommes hommes et nous ne tenons les uns aux autres que par nos paroles.

Nous ne travaillons qu'à remplir la mémoire, et laissons l'entendement et la conscience vides.

J'ai vu en mon temps cent artisans, cent laboureurs, plus sages et plus heureux que des recteurs de l'université.

Ne pouvant régler les événements, je me règle moi-même.

Il est plus insupportable d'être toujours seul que de ne le pouvoir jamais être.

Tous jugements en gros sont lâches et imparfaits.

Se trouve autant de différences de nous à nous-mêmes que de nous à autrui.

Sur le plus beau trône du monde, on n'est jamais assis que sur son cul !

Nous défendre quelque chose, c'est nous en donner envie.

Il faut voyager pour frotter et limer sa cervelle contre celle d'autrui.

Si on me presse de dire pourquoi je l'aimais, je sens que cela ne peut s'exprimer qu'en répondant : "Parce que c'était lui, parce que c'était moi. "

On nous apprend à vivre quand la vie est passée.

Les femmes ont raison de se rebeller contre les lois parce que nous les avons faites sans elles.
C'est le jouir, non le posséder, qui nous rend heureux.
Je me contente de vivre une vie seulement excusable.
Eduquer, ce n'est pas remplir des vases mais allumer des feux.
 Pas de vrai plaisir sans totale autonomie.
Heureux qui joint la santé du corps à l'exercice de la pensée.
Ciel, terre, mer et toutes choses : un néant.
Partout où le vent m'emporte , je m'installe un moment.
Que de vide dans le monde.
Si je parle diversement de moi, c'est que je me regarde diversement. Toutes les contrariétés s'y trouvent selon quelque tour, et en quelque façon : honteux, insolent, chaste, luxurieux, bavard, taciturne, laborieux, délicat , ingénieux , hébété , chagrin, débonnaire , menteur , véritable , savant, ignorant et libéral , et avare et prodigue
Ce n'est pas un léger plaisir de se sentir protégé de la contagion d'un siècle si gâté , un siècle corrompu et ignorant comme celui-ci , où la bonne estime du peuple est injurieuse.
J'ai pu me mêler des charges publiques sans me départir de moi de la largeur d'un ongle, et me donner à autrui sans m'ôter à moi.
 Notre grand et glorieux chef d'oeuvre , c'est vivre à propos.
C'est une absolue perfection, et comme divine, de savoir jouir loyalement de son être.
Si haut que l'on soit, on n'est jamais assis que sur son cul.