Johnny

sommaire
+

                                    Une Voix et une Vie pour nos maux

   Accueil Johnny  Galeries de photos  Le coureur automobile

Les liens

                        Portrait dans Libération du 16 septembre 1999                                                        

 

JOHNNY HALLYDAY EN 9 DATES

15 juin 1943
Naissance à Paris de Jean-Philippe Smet.

1961
Premier passage en vedette à l'Olympia.

21 juin 1963
Concert de la Nation.

14 août 1966
Naissance de David (avec Sylvie Vartan).

15 novembre 1983
Naissance de Laura (avec Nathalie Baye).


18, 19 et 20 juin 1993
Fête ses 50 ans au parc des Princes.

25 mars 1996
Epouse Laeticia.

Septembre 1998
Concerts au Stade de France.

13 septem-bre 1999
Sortie de "Sang pour sang"
(sur des compositions de David Hallyday).
hallyday libe.jpg (38183 octets)

Sisyphe est un rocker. Plus de 100 millions de disques, près de 850 chansons, plus de 40 disques d'or, 20 de platine, plus de 100 tournées, 28 films, plus de 1 000 couvertures de magazines, des millions de mots. L'Alhambra, l'Olympia, le parc des Princes, Las Vegas, le Stade de France, en 2000, les Champs-Elysées: toujours plus énorme. "J'ai besoin de paris pour m'exciter. Jean-Jacques Goldman m'a écrit une très jolie chanson qui est tout à fait moi: Donnez-moi l'envie d'avoir envie. Plus moi que ça, on peut pas." Et des amours, mariages, ruptures, divorces, deux enfants, deux petits-enfants. Une tentative de suicide. Des tombereaux de clichés. Il ne lui aura manqué qu'une interview par Marguerite Duras pour être canonisé. Un mythe, donc.

Johnny Hallyday s'avance dans un couloir sombre de l'hôtel Raphaël. Foulée déhanchée, le "Boss" se dandine un peu. Maigre, presque frêle, la chevelure roussie, T-shirt Armani, treillis, tennis blanches, lourd bracelet d'argent, un lion tatoué sur le bras. Sa voix de basse laisse percer des accents faubouriens (non pas "tûûûjûûrs", mais un son qui sonne juste un Paris en noir et blanc). Il se pose sur une bergère dans une sorte de bonbonnière, entre salle d'attente de notaire de province, velours fanés, peintures à la grotesque et salon de claque de haut vol: "Où sont les poules de luxe?" lance-t-il. Sur son portable à motif de guitare nacrée, il règle des détails domestiques, il est question de canapés... Couché à 4 heures ce matin, levé à 7, la nuit et la vie ont laissé des traces dans son regard bleu-vert, qui se plisse, se durcit, s'adoucit au gré des minutes. Le bouc latino lui donne un air méphistophélique, un rien à la Béjart. On s'affaire autour de lui, maquilleuse, coiffeur, photographe. Il se laisse faire, sage comme une image. "Gentil", le choeur des suivants est unanime. Il a l'air d'un bon zigue, en effet. Saisi en contre-plongée, Hallyday avance un profil léonin: on dirait le lion qui coiffait la calandre des vieilles Peugeot.

Il demeure "en dedans", tel un torero avant l'entrée dans l'arène. 240 000 albums de Sang pour sang en précommande; déjà disque d'or à sa sortie: "Rassurant", reconnaît-il. Mais il y est habitué. Sauf que, cette fois, il y a les musiques de David, son fils. Père et fils mais aussi un chanteur et un compositeur, tous deux aimant "les choses bien faites". "Quand on a commencé l'album, il y avait une pudeur entre nous. Comment lui dire les choses, pour qu'il ne se vexe pas et, je suppose, réciproquement?" Un père, un fils, séparés par un divorce, l'océan, réunis par des calendriers aléatoires (Sylvie Vartan a élevé David aux Etats-Unis). Ce disque ensemble, comme un pardon, forcément. "Non, je ne pense pas avoir à me faire pardonner quelque chose. La vie a été faite ainsi. J'ai vu mon fils quand je pouvais, je ne l'ai pas vu grandir dans ma maison. On a essayé de rattraper le temps perdu, plus tard."

Le mythe dure depuis quarante ans: les années 60 ont fait surgir une jeunesse dans la France pantouflarde. Et Johnny lui a donné une voix: "Nous, les enfants des lendemains de la guerre, nous avions du désarroi. Nous étions des paumés. Pour celle d'aujourd'hui, il y a le chômage, le sida." Du concert de la Nation de 1963, avec ses "casseurs", à Mai 1968, le vieux fan lit un lien évident, l'esprit de révolte, au moins: "Non, s'insurge-t-il, ça concernait une certaine classe sociale dont je ne faisais déjà plus partie, puisque j'étais déjà connu. Mais ce qui s'est passé en 68 pourrait recommencer aujourd'hui. Pour les mêmes raisons." Les paumés d'aujourd'hui, les mômes des cités, "Jojo" le réac les regarde-t-il avec compréhension? "Je ne suis pas réac. Mais on manque de liberté, on est fliqués, ne serait-ce que par les impôts (il a eu sa part de redressements fiscaux). Mais, s'il y a tant de délits, c'est que la société le veut bien aussi... Je ne suis ni de droite ni de gauche, je regarde ça en badaud: "ils" font des promesses et, quand "ils" sont élus, rien ne change."

Johnny le chiraquien, tout de même... Tranchant: "Je suis très ami avec Chirac depuis longtemps, pas du tout politiquement." On pressent pourtant deux types qui se reniflent et se sentent du même tonneau. "Non, j'ai aussi été très ami avec Marchais." Des Johnny de la politique, en somme, des types qui existent par leur corps: "Peut-être que cela me séduit, des gens qui ont de la présence, leur parti politique, je m'en tamponne." On y vient forcément au cliché "bête de scène", "présence physique": "Mes idoles ont toujours été des gens qui dégageaient quelque chose. Mes admirations: Marilyn Monroe, James Dean, Montgomery Clift, parce qu'on a envie de leur ressembler, avec leurs désespoirs et leurs éclats de rire. Le gars parfait pour moi devait ressembler à James Dean et chanter comme Elvis Presley... Un rebelle est un homme libre."

"L'Homme", comme on dit dans son milieu, a accusé cette image de virilité jusqu'à la caricature: "Ça, c'est au spectacle, je ne joue pas ma peau comme à la guerre mais je remets tout en question dans mon métier. Je peux passer de la démesure à l'intimité, à la tendresse." Cette démesure l'a porté jusqu'à la drogue; la provocation l'a poussé jusqu'à le confesser. "Non, c'était une interview honnête (1); je déteste les sujets vérité où on dit: "Non, moi, jamais!" Je ne le cache pas, mais je ne m'en vante pas. Je devais d'ailleurs me sentir mal dans ma peau; j'ai décidé de changer, je me sens mieux." Il y a ceux qui disent que le vrai Johnny il faut le connaître "torché": "J'ai jamais été alcoolique, je peux m'en passer. Il m'arrive de rentrer torché, après une soirée "joyeuse" avec ma bande de copains. Qui n'a pas fait ça?"

Johnny a incarné l'antifranchouillard; Johnny aime la France et ne vivrait pour rien au monde en Amérique: "L'Amérique n'a jamais été autre chose que celle de mes rêves, celle des westerns. Je n'aime pas les Américains, je n'aime pas leur façon de vivre. J'aime l'Amérique de Norman Rockwell." Le rock en français, un peu dérisoire, non? "Le rock, c'est le phrasé. En français, on a des pieds en trop, des mots plus longs qu'en anglais. Le défi, c'est donc de trouver des mots plus courts." Sa manière de parler est déliée, pas syncopée comme dans ses caricatures... "Ah oui, "ah que"...Ce sont les mêmes qui disent qu'on ne me connaît bien que torché, sans doute..." Tout comme la drogue, il a confessé son "inculture": "Ma culture, je l'ai apprise avec les gens que j'ai rencontrés, que j'ai étudiés. J'ai fait avec la vie ce que fait un acteur quand il entre dans un rôle."

De toute façon, il est déjà dans l'Histoire, même si cela le fait sourire: "J'ai déjà vécu plus que ce qu'il ne me reste à vivre. Qu'on dise de moi que j'ai fait mon métier honnêtement. Mais, dans vingt ans, qui pensera à moi?" Il trône cependant quelque part entre de Gaulle et Tintin, avec le France, le pont de Tancarville, les MG décapotables, les blousons noirs, menant une cohorte de plus de 50 ans mais de moins de 60, qui s'accroche bien, fait un peu de sport, des régimes, entre eau minérale et vins fins, après d'innombrables tête-à-queue, tête-à-coeur, qui sait encore se rétablir sur ses jambes. Et n'a pas envie de céder la place. Johnny est de l'ordre des Mythologies nationales de Barthes, voire des Lieux de mémoire: une rencontre parfaite avec les humeurs et les rêves de môme d'un peuple. Comme un miroir d'une nation qui ne veut pas vieillir et sans doute pas mourir."J'avais 25 ans, j'étais déjà au musée Grévin, alors... il ne peut rien m'arriver de pire!".

Par JEAN-LUC ALLOUCHE
PHOTO CLAUDE GASSIAN
Le 16/09/1999