Claude LEVI STRAUSS
Peu de savants se sont
aventurés aussi loin que Claude Lévi-Strauss dans l'exploration des mécanismes
cachés de la culture. Par des voies diverses et convergentes,
il s'est efforcé de comprendre cette grande machine
symbolique qui rassemble tous les plans de la vie humaine, de la famille aux
croyances religieuses, des oeuvres d'art aux manières de table. Le
paradoxe des très grandes oeuvres, celles qui sont vraiment décisives et
novatrices, est de pouvoir se caractériser en peu de mots. Ainsi pourrait-on
dire qu'il déchiffra le solfège de l'esprit. A tout le moins, il s'en approcha,
et de fort près, à force de rigueur et d'invention conceptuelle. .../...
Dans une époque pressée, confuse, massivement portée à la veulerie et au
simplisme, l'homme passait fréquemment pour distant. Tous ceux qui eurent la
chance de l'approcher peu ou prou savent combien cet
esprit universel, profondément attaché à la dignité de tous peuples, savait être
proche, amical, fidèle et chaleureux, surtout si l'on avait su tenir le coup
sous son regard, le plus acéré qui fût. Hautain? Non. Seulement exigeant,
suprêmement intelligent, et peu enclin au mensonge. Cela fait évidemment
beaucoup de défauts, surtout si l'on est en outre l'auteur d'une des oeuvres
majeures du XXe siècle. Extraits Roger Pol-Droit du 4/11/09.
Il a montré la structure qui sous-tend les cultures : Par exemple, l'interdiction de l'inceste, qui permet au groupe de s'ouvrir et de survivre et que l'on retrouve dans toutes les civilisations.
Les cultures ont la même force, la même dignité, parce qu'on trouve en chacune, aussi éloignée soit-elle, des éléments poétiques, musicaux, mythiques qui sont communs : les "invariants";
Il a trouvé dans les civilisations les plus humbles : "La pureté des éléments, la diversité des êtres, la grâce de la nature et la décence des hommes."
Mythes : Il transcrit, interprète plus de 800 mythes amérindiens. Le mythe est cette parole structurante qui a survécu au temps, qui assure la continuité du groupe et de l'espèce. Aucun mythe n'est semblable à un autre, mais tous reviennent à la même chose, le passage de l'état de nature à celui de culture et la constitution d'un groupe humain en tant que tel.
Mai 68 : "Une fois passé le premier moment
de curiosité, une fois lassé de quelques drôleries, Mai 68 m'a répugné."
C.L.Strauss n'admet pas que l'on coupe des arbres pour faire des barricades, que
des facultés soient transformées en poubelle, etc.. "Mai 68 a représenté la
descente d'une marche supplémentaire dans l'escalier d'une dégradation
universitaire commencée depuis longtemps".
Mai 68 constitue à bien des égards un retour à certaines positions de
l'existentialisme : le primat du sujet.
Ethnologue : "L'Ethnologue a choisi les
autres et doit subir les conséquences de cette option : son rôle sera seulement
de comprendre ces autres au nom desquels il ne saurait agir, puisque le seul
fait qu'ils sont autres l'empêche de penser, de vouloir à leur place, ce qui
reviendrait à s'identifier à eux. En outre, il renoncera à l'action dans sa
société, de peur de prendre position vis à vis de valeurs qui risquent de se
retrouver dans des sociétés différentes, et donc d'introduire le préjugé dans sa
pensée."
L'ethnologue est "victime d'une sorte de déracinement chronique". "Plus jamais
il ne se sentira chez lui nulle part, il restera psychologiquement mutilé".
Occident :" Expropriés de notre culture, dépouillés des valeurs dont nous étions épris"pureté de l'air et de l'eau, grâces de la nature, diversité des espèces animales et végétales", tous indiens désormais, nous sommes en train de faire de nous-mêmes ce que nous avons faits d'eux."
Art : "Les hommes ne diffèrent, et même n'existent, que par leurs oeuvres. Comme la statue de bois qui accoucha d'un arbre, elles seules apportent l'évidence qu'au cours des temps, parmi les hommes, quelque chose s'est réellement passé."
Peinture : Vers 16/17 ans, il a adoré Picasso qu'il mettait sur un piédestal à côté de Stravinsky. Quand il voyait le dernier Picasso dans une vitrine, il avait l'impression de recevoir une révélation métaphysique. Il en reste peu de choses. A été déçu par l'exopsition au Grand Palais après la mort de Picasso. Il reconnait le génie de Picasso mais il lui apparait comme une espèce de bricoleur de génie qui s'est débrouillé pour faire l'apparence de quelque chose avec les débris qui subsistaient d'une peinture qui déjà n'existait plus. Picasso est arrivé sur ce champ de bataille après l'impressionnisme, après Seurat, Gauguin, Cézanne, qui sont de grands peintres, mais qui du point de vue de C.L.S. ont plutôt détruit la peinture qu'ils ne l'ont continuée.
Condition humaine : "Le moi n'est pas
seulement haissable : il n'a pas sa place netre un nous et un rien".
"Le monde a commencé sans l'homme et il s'achèvera sans lui. Les institutions,
les moeurs et les coutumes que j'aurai passé ma vie à inventorier et à
comprendre, sont une efflorescence passagère d'une création par rapport à
laquelle elles ne possèdent aucun sens, sinon peut-être de permettre à
l'humanité de jouer son rôle".
Philosophie : mots très durs dans "l'homme nu" : "La philosophie comme l'existentialisme tourne le dos à tout ce qu'on doit à la pensée scientifique contemporaine, au lieu de la prendre comme point de départ, en considérant que les problèmes philosophiques traditionnels sont aujourd'hui dépassés."
Littérature : en 1993, dans Regarder écouter lire, Lévi-Strauss témoigne d'une pratique assidue, parfaitement informée. C'est moins la modernité du surréalisme - il n'a jamais caché son rejet des expressions artistiques contemporaines et sa conviction d'un "naufrage de l'art non figuratif" - qui l'intéresse que son lien avec la tradition du XIXe siècle, notamment le symbolisme.
Montaigne : il propose une "relecture" en 1991, dans Histoire de lynx. Montaigne, c'est le philosophe qui ne cherche pas à surmonter les contradictions mais qui considère que "toute certitude a la forme a priori d'une contradiction, et qu'il n'y a rien à cacher par-dessous".
Après Montaigne, il y a Rousseau, "fondateur", dira-t-il, des "sciences de l'homme". "Marx et Freud me font penser. A la lecture de Rousseau, je m'embrase."
Il y a aussi : Chateaubriand, Dickens, Balzac, Rimbaud (il analyse dans Regarder écouter lire, le Sonnet des voyelles, comme il avait analysé, au début des années 1960, avec Roman Jakobson, les Chats de Baudelaire), Proust (pour l'art des agencements, du "bricolage")...
Modernité : Il s'inquiétait de voir l'évolution vers la destruction. Il estimait qu'il y avait une taille optimale. Importance du rapport des sociétés primitives avec leur nature qui n'est jamais une barrière infranchissable entre l'humain et le non-humain : l'animal ou même les faits naturels y possèdent leur propre intériorité, une sorte d'âme et l'homme a envers eux un devoir éthique. Cest cela qui a disparu avec le chhristianisme et avec la philosophie cartésienne : à partir du moment où l'homme se croît le maître de la nature, il se comporte vis à vis d'elle avec une brutalité qui affecte d'abord les animaux, puis certains humains (cela à conduit à la xénophobie).
Françoise Heritié- Augé
: Il était dans la constance. A partir du moment où il a trouvé sa
voie pour appréhender le réel, il n'en a plus jamais dévié. "Il m'a appris la
désorientation, il l'a introduite dans mon esprit. Je vivais dans un
enseignement autocentré où le reste du monde n'existait pas. Avce lui, c'est le
monde qui est entré. Il était capable de passer d'un endroit du monde à un autre
pour alimenter ses théories".
"Ce qu'il apportait de neuf c'était cette manière de
décomposer les produits de l'activité humaine qu'ils soient techniques ou
mentaux comme les mythes, jusque dans leur aspect moléculaires, de mettre en
évidence leurs soubassements logiques pour en révéler leur universalisme."
èVoyager est, quoi qu'on puisse dire, un des plus tristes plaisirs de la vie
èRien ne ressemble plus à la pensée mythique que l'idéologie politique