Eloge de l'ennui (un mal nécessaire)

 

Un baume  pour nos maux ...

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AUTEURS
Camus,   Nietzsche,   Einstein, Desproges, Wolinski, Lacan, Gracian,  Cioran....

PROVERBES DU MONDE.
Africains, Arabes, Allemands, Chinois, Russes, Québequois...

THEMES
l'Amitié, la Confiance, le Pouvoir, l'Ennui
...

COMMUNICATION

 

 

Flaubert, Sénèque, Cioran, Montaigne, Pascal, Sartre, Heidegger, Voltaire, Baudelaire ont subi l'ennui ce mal nécessaire sans lequel ils n'auraient peut-être pas écrit...

 

La lecture est un plaisir qui se paie. Elle est liée en profondeur au spleen et à l'angoisse. Comme Montaigne, Proust, ou encore Madame Bovary, les mélancoliques ne sont-ils pas les seuls bons et vrais lecteurs ?

Montaigne, lecteur modèle, s'est mis à écrire parce que la lecture lui faisait mal, parce qu'au lieu de l'apaiser elle le troublait.

 

Proust : "il n'y a peut-être pas de jours de notre enfance que nous ayons si pleinement vécus que ceux que nous avons cru laisser sans les vivre, ceux que nous avons passé avec un livre préféré."

 

Sénèque :
Tout est "corps" pour les stoïciens, le monde, les astres, le temps l'esprit, les passions mêmes. Sénèque est fasciné par le corps, par les manifestations corporelles du mal moral.

Pascal:
Peu d'oeuvres font autant de place que les "Pensées" à une réflexion sur l'ennui, et sur cette réalité qui lui est corollaire : le divertissement.
"Ennui. Rien n'est si insupportable à l'homme que d'être dans un plein repos, sans passions, sans affaires, sans divertissement."

 

18ième siècle :
L'ennui devient une maladie utile. Dans la grande réhabilitation de la nature humaine qu'opère la philosophie des Lumières, l'ennui, tout comme le désir, cesse d'être simplement négatif et devient pricipe d'action.
Dans le "poème sur  la loi naturelle", Voltaire présente le coeur de l'homme comme "brulé de désirs ou glacé par l"ennui".
Voltaire : "Vivons tant que nous pourrons, mais la vie n'est que de l'ennui ou de la crème fouettée."
               "Voilà les deux pivots de la vie, de l'insipidité ou du vide"

 

Deux penchant opposés attirent l'homme en sens contraire : l'horreur de l'ennui et l'amour du repos : le grand art est d'échapper à l'un sans troubler trop violemment l'autre, de trouver un état mitoyen entre la léthargie et la convulsion.

 

Baudelaire/Flaubert :
Un même empire de la tristesse et une même subversion du Mal par l'art unissent Baudelaire, promoteur du Spleen, et Flaubert, champion du dégoût généralisé.
Le salut n'est pas dans le monde, lequel est voué pour l'heure au néant, mais au contraire dans une faculté d'écart radical, dans un désengagement absolu qui permet à l'artiste de se venger du réel, de le dénoncer en montrant son néant, pour former, en creux, l'image d'un sur-réel qui n'appartient qu'à la représentation. Le monde n'est qu'une sale illusion, ou pire, dont la seule justification pourrait être d'aboutir à un beau livre.
Nés tous les deux en 1821, ils ont neuf ans à la révolution de 1830 et tout le temps qu'il faut pour constater à l'adolescence ce qu'il advient des plus belles espérances ; Une France monarchique, bourgeoise qui cherchait à oublier 1793 et Napoléon, où toute originalité passait pour une maladie et à qui n'était offert  pour seul idéal que le précepte de Guizot "Enrichissez-vous !".
Contre la désespérante nullité du présent, les deux jeunes écrivains entrevoient, chacun à sa manière, une conception intransigeante de l'écriture, qui pourrait devenir leur rebéllion à eux contre le triomphe de la bétise, l'autosatisfaction béate des nouveaux riches et l'inertie des masses.
Dandy blessé par l'indigence à laquelle il s'est lui-même assujetti, Baudelaire invente une écriture poétique de la rupture qui dit l'horreur du dénuement et qui, dans sa provocante révolte, opte pour le refus des compromis.
Tout au contraire, et avec un résultat assez comparable, Flaubert a passé l'essentiel de sa vie à l'abri du besoin, dans un confort rassurant qui lui permettait d'envisager le métier d'écrivain sans le souci de plaire, dans une totale indépendance...
Une totale autonomie qui se traduit tragiquement par une confrontation fondamentale au sens même de ce projet : écrire, mais quoi ? pour quoi faire ? pour qui ? comment ? L'expérience flaubertienne, la figure de l'écrivain total commence dans ce face à face avec soi-même, dans cette épreuve quotidienne du vide, de l'écoulement pur du temps, de l'inutilité de toute chose et de sa propre existence, à laquelle se trouve réduit celui qui n'a pas besoin de travailler pour vivre. Des vacances perpétuelles : pas 35 heures, rien, zéro heure, de la vacance pure, du néant.

 

Schopenhauer:
Il n'y a pas de solution à l'existence de l'ennui. Ce n'est pas un simple accident dans la vie psychique mais l'aboutissement nécessaire du vouloir-vivre.
La vie c'est l'ensemble des forces qui résistent à la mort.

 

Heidegger :
L'ennui profond, que Heidegger distingue de l'ennui ordinaire, nous dévoile notre essence véritable et incite à nous questionner sur notre être-au-monde.

 

Sartre :
Peu de romans ont su comme "la Nausée" dénoncer l'ennui bourgeois, la terrifiante régularité d'un monde d'ordre. Mais l'ennui est aussi autre : un révélateur ontologique.

 

Beckett :
Le désir d'être rien. Les personnages de Beckett ne partagent pas une conception négative de l'ennui : il est, pour eux, l'annonce en ce monde du néant espéré et l'occasion d'une progression spirituelle.

 

Moravia :
Indifférence, dégoût, inattention, sentiment d'inauthenticité, aliénation : l'ennui, sous ses formes les plus variées, s'infiltre partout dans le monde romanesque de Moravia.
" Il n'y a qu'une chose qui soit plus mystérieuse que la satisfaction, c'est l'insatisfaction."
Dois-je touver un sens pour adhérer au monde ou dois-je d'abord adhérer au monde pour ensuite trouver un sens ?

 

Cioran :
Dans l'un de ses "entretiens", Cioran confie que sa vie "a été dominé par l'expérience de l'ennui", non pas de cet ennui explique-t-il, "que l'on peut combattre par des distractions, la conversation ou les plaisirs", mais d'un ennui "fondamental".
Malgrè cela, Cioran n'a que très peu écrit sur l'ennui.
Ce drôle de paradoxe demande à être creusé. Car si Cioran n'a que peu parlé nommément de l'ennui, celui-ci traverse néanmoins son oeuvre de part en part, se situant non seulement en amont de toute sa réflexion et de sa vision du monde, mais expliquant également,ce qi est au moins aussi, sinon même plus important, son choix de vie : " à cause de cette expérience, explique-t-il, je n'ai rien pu faire de sérieux dans ma vie..J'ai vécu intensément, mais sans pouvoir m'intégrer à l'existence. Ma marginalité n'est pas accidentelle mais essentielle."

 

 

 

Source : magazine littéraire n°400 de juillet-août 2001