Destins : Ceux qui osent 

Sommaire                                                                                                                                 Ceux qui nous tiennent encore debout, ceux qui avancent ..

+

Questionnaires de  Proust

AUTEURS
Camus,   Nietzsche,   Einstein, Desproges, Wolinski, Lacan, Gracian,  Cioran....
 

PROVERBES DU MONDE.
Africains, Arabes, Allemands, Chinois, Russes, Québequois...

Entrepreneurs

                                                                 
   
                     

  A tout âge il y a de l'espoir
Jean-Pierre Bacri "J'ai une espèce de névrose de la droiture..."
François-Marie Banier Photographe et écrivain. Veut "plonger au coeur de l'humain"
«J'ai l'obsession de faire renaître sur le papier des moments qui vont devenir impérissables. C'est ça que je cherche, c'est l'éternité.»
Bernard Stiegler Disciple de Derrida, philosophe de la technique, il explique à quel point le marketing de la consommation de masse nous dépossède de notre identité d'être humain.
Bernard Lavilliers Ce qui me surprend le plus, c'est que les gens qui n'ont pas une thune aient voté pour lui. Ils n'ont rien compris au film. Ils ont voté pour un as du marketing, un commercial, un cabotin.
Philippe Valery

Lassé d'un travail monotone, ce diplômé de l'Essec a fait à pied 10 000 km de Marseille à la Chine sur l'un des axes les plus agités de la planète (Balkans, Afghanistan,...)

Johnny Hallyday Il ose et fait réver. Eternel adolescent qui a tout compris et ira debout jusqu'à l'extrême.
2003 : Le Parc des Princes, mais surtout la tournée d'hiver. Inoubliable première au Zénith de Caen...Le rêve n'est pas fini...
Les joueurs de tennis en Coupe Davis Comment d'un sport individuel et riche, on peut faire un dépassement collectif. Comment une équipe peut l'emporter sur l'individualisme et faire que la somme des personnalités soit plus forte que les personnalités seules.
George Soros

Spéculateur et philanthrope, multimilliardaire américain, il combat les excès de la mondialisation et dénonce les diktats des «intégristes du marché»

The Ig Nobel Home

Insolite et politiquement incorrect. Ce sont des prix pour rire, annoncés par des vrais Nobels une semaine avant les vrais pour récompenser des travaux qui ne peuvent pas ou ne doivent pas être reproduits.

Rene Girard écrivain et grand lecteur, explique la violence du monde par sa théorie du désir mimétique.
Lynn Hill La grimpeuse américaine a ouvert la voie d'une escalade nourrie de gymnastique, de zen et de tai-chi.
Jean-François Rial

Ex-marginal de la finance, patron de Voyageurs du Monde

Danièle Sallenave

Normalienne, agrégée de lettres, ose dire que ça peut être bien plus intéressant de lire "Le Parisien" que "Le Monde"

Frédéric Schiffter Prof de philo, resta prostré le jour de la rentrée devant le lycée tenaillé par une angoisse verticale et figée. A écrit "Pensées d'un philosophe sous Prozac".
Yannick Haenel Avec François Meyronnis  et Frédéric Badré, sont  les animateurs, depuis 1997, de Ligne de risque, une revue qu'ils publient sans l'aide d'un éditeur et qui mène une réflexion à contre-courant tant de la marchandisation de la littérature que de la conception doloriste de l'écrivain. Publie en 2003 " ÉVOLUER PARMI LES AVALANCHES".
François Meyronnis Publie en 2003 "L'AXE DU NÉANT"
Louis 2 de Bavière Révait d'un monde meilleur, a construit des chateaux, encouragé Wagner et essayé de faire bien son boulot de roi.
Denis Olivennes PDG de la FNAC. "J'aime les hommes qui font le contraire de ce pour quoi ils ont été programmé.
Javier Cercas « Ecrire ne sert à rien, le langage ne sert à rien, mais il me faut continuer. Ecrire, c’est peut-être la seule façon de trouver une illusion aux choses de la vie… »

 

 

Jean-François Rial, 39 ans, ex-marginal de la finance passé financier du voyage et chantre d'un tourisme éthique mais élitiste.
Traveller chic

Un patron bobo. Pour ceux qui le côtoient au quotidien, le terme colle bien au personnage. A les entendre, Jean-François Rial n'aime l'art qu'«ethnique» et ne conçoit le tourisme «qu'authentique et équitable», quitte à le payer plus cher. Il est «de gauche, c'est sûr», ouvert, bien sûr, se fout des hiérarchies formelles et ne voit aucun ridicule à déclarer à ses employés «quand tu gagneras autant que moi, je serai content», dixit l'un d'eux. Quitte à choisir, l'homme préfère dormir dans un ryad perdu au fin fond d'une médina plutôt que dans un lit king size d'hôtel de luxe, et n'en revient pas que certains l'aient surnommé «the Boss». Il s'en amuse. «C'est sans doute vrai, d'ailleurs, dans un test de magazine, je cumulais 24 critères bobo sur 26. Mais ce n'est pas pour l'apparence, je suis trop libre pour être un archétype.» Fines lunettes cerclées et complet mauve, soigné mais soucieux de sa sobriété, l'homme est un curieux mélange. Un fou de chiffres dingue de déserts, un cérébral au sang chaud, impulsif, émotif et en même temps calculateur.

A 39 ans, cet ancien enfant terrible de la finance croit toucher au but : concilier son insatiable appétit pour les affaires avec sa «quête de tous les sens», l'amélioration de sa marge brute et ses attirances d'esthète pour ce qui est «beau, rare et inattendu». «Je vends des voyages, pas des vacances, de l'exotisme, mais au sens noble du terme», déclame-t-il, un brin élitiste. Huitième voyagiste français avec près de 150 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel, confortablement bénéficiaire sans en faire une obsession, son groupe, Voyageurs du monde, s'est discrètement taillé une solide réputation dans les voyages «sur mesure», concoctés par des «experts» originaires de trente nationalités. Sa cité des voyageurs pour anciens routards devenus aisés est déjà en soi une invitation à l'ailleurs, une mise en scène world tourism de la planète. Chaque «comptoir» y est bichonné dans le style d'une région du globe. L'Inde fourmille de statuettes hindoues, l'Australie de dessins aborigènes. On y vient aussi pour flâner dans la librairie, goûter aux cuisines du monde du restaurant des voyageurs tout en préparant son périple dans la steppe mongole. Gadget ? «Le client à qui l'on fourgue l'avion plus l'hôtel vite fait, bien fait existe de moins en moins, il faut être en mesure de coller au plus près de ses désirs.» La calculette n'est jamais très loin de l'hédonisme. «En combinant tous les critères par destination, cela donne au moins 25 voyages différents, autant de tarifs.» Son côté matheux.

Rien dans son parcours météorique ne laissait présager une reconversion dans un secteur longtemps réputé pour sa faible rentabilité. Son diplôme de statisticien en poche, ce fils d'un rigoureux prof d'origine espagnole, «à la Jules Ferry» précise-t-il, fait vite sensation comme arbitragiste à la Bourse de Paris et devient une pointure dans l'évaluation des risques financiers. Deux ans après la fin de ses études, il est déjà directeur général à 25 ans et assez riche pour racheter une partie du capital de Fininfo, son employeur d'alors. «J'étais décalé, se rappelle-t-il, le côté Porsche et paillettes, ça n'a jamais été mon truc et puis je détestais spéculer, ce qui m'excitait c'était de repérer les anomalies sur les marchés.» «Son seul vrai luxe, ça a toujours été de rester maître de son temps, il ne supporte pas l'entrave», dit de lui Dolorès, son assistante, à ses côtés depuis quinze ans. Du temps, il en prend régulièrement pour se réfugier dans sa ferme du Cantal, «mes racines psychiques», dit-il, et traverser des déserts où il cultive le détachement de soi et son attirance pour les religions et le mysticisme. Une sorte de syncrétisme zen nourri par ses lectures de textes hindouistes, bouddhiques et soufis. Le décès de sa petite fille Maya, il y a deux ans, a accentué son penchant naturel pour leurs préceptes de sagesse. «Ma vision de la mort a changé et les aléas de la vie m'ont contraint à gagner en sérénité, je n'y arrive pas toujours mais j'essaie chaque jour d'être un meilleur être humain.»

Rétif à l'autorité, limite capricieux et gâté diront les mauvaises langues, il voit sa carrière dorée se heurter à une ultime contrariété : comme arbitragiste, Rial n'est pas seul maître à bord, pas chez lui. Il cherche donc à investir ailleurs qu'en Bourse les coquettes sommes amassées en options et autres contrats à terme. Il passe à l'acte en 1992 avec le rachat du voyagiste Comptoir des déserts. Il se décide en une nuit, en pleine guerre du Golfe. «Un investissement émotionnel», dit-il, dans lequel il engloutit ses soirées, week-ends et son million et demi d'euros d'économies. Le virage est pris, sans retour. Quatre ans après, ce marginal de la finance devenu financier du voyage s'endette lourdement pour s'offrir Voyageurs, le tour-opérateur de ses années estudiantines, avec lequel il a parcouru la Chine sac au dos. Un rêve d'adolescent.

Le groupe a été créé quinze ans auparavant par un ex-maoïste passé du gauchisme à l'universalisme. Il va y distiller ses recettes apprises à l'école des traders. «Quand on l'a vu débarquer, on était inquiets, mais il nous a tout de suite parlé de ses voyages avec des étincelles dans les yeux. On a compris qu'il était là avant tout par plaisir. Il y a des activités qui rapportent tellement plus», se rappelle Carmen Vidal, élue du comité d'entreprise. Les rémunérations dépendent beaucoup des résultats et les primes sont réparties équitablement au sein de chacune des équipes des 22 comptoirs, autonomes. «Les gens sont très solidaires, la direction pratique l'équité, pas l'égalitarisme», explique un vendeur de séjours en Amérique latine qui note avec satisfaction que tous les ans les salaires sont réajustés, «11 septembre ou pas».

Rial se décrit comme un adepte de la gauche «libérale» car, glisse-t-il, «rien n'est simple. Avant de redistribuer les richesses, il faut commencer par en créer». Et n'hésite pas, comme après le 21 avril, à envoyer par courrier électronique aux 35 000 clients abonnés à sa lettre d'informations un texte de sa directrice des ressources humaines pour dire à quel point le vote Le Pen est une insulte à tous les étrangers qui mélangent leurs cultures dans son temple du voyage.

En prenant le contre-pied du tourisme de masse à la Preussag-Nouvelles Frontières et des vacances en club fermé, ce collectionneur de jeux de stratégie, joueur de cartes invétéré, est conscient de s'être cantonné dans une «niche», à l'écart des gros marchés de demain. Mais il s'y sent à l'abri des prédateurs. «Notre capital, c'est notre connaissance des destinations, savoir par exemple qu'il vaut mieux passer par Safi pour aller à Essaouira depuis Marrakech. Ça n'a rien à voir avec des rotations de charters bronzette où le seul but est de comprimer les coûts au maximum.» La contradiction affleure. Le voyage version Rial se veut peut-être responsable et nourri d'éthique comme le recommande un guide édité par ses agences, la cuisine dans ses treks garantie «sans déforestation» et les salaires de ses chameliers décents, il ne s'adresse pas à tous les budgets. Vous avez dit bobo?

Jean-François Rial :
12 juin 1963 :Naissance à Soyaux (Charente).
1982 : Découverte de la Chine qui vient de s'ouvrir au tourisme non accompagné.
1988 : Directeur général de Fininfo.
1991 : Traverse le Sahara à la boussole.
1993 : Naissance de sa première fille, Carla.
1996 : Rachète Voyageurs du monde.
2000 : Mort accidentelle de sa fille Maya, «l'illusion» en sanskrit.

Libération du 2/09/02 par  Christophe ALIX (Dans Portraits)

 

 

The IG Nobel Prizes

Que sont les  Ig Nobel Prizes?

QUOI : Chaque gagnant du prix Ig Nobel  a fait quelque chose qui fait d'abord RIRE les gens, les fait ensuite PENSER. Parlant techniquement, l'Igs honore les gens dont les accomplissements "ne peuvent pas ou ne doit pas être reproduits."
QUI: Voici la liste de tous les gagnants ( winners.)
POURQUOI : L'Igs a pour but de   célébrer l'inhabituel, d'honorer l'imaginatif - et de stimuler l'intérêt populaire dans la science, la médecine et la technologie.
Le Prix Nobel Ig, patronné par les Annales de Recherche Improbable  www.improbable.com/IG,   reconnaît des travaux réels scientifiques mais " qui ne peuvent pas ou ne doivent pas être reproduits."
Les récompenses sont accordées à  des destinataires enchantés (par des lauréats Nobel réels) dans une cérémonie festive à l'Université de Harvard.
En 2002, c'est la neuvième année que sont attribués les Prix Nobel Ig.
Chaque année, dix Ig  Prix Nobel sont attribués.
IG_Nobel_Prize_Ceremony.jpg (16211 octets)
Le critère de choix est simple :
Travaux réels scientifiques mais " qui ne peuvent pas ou ne doivent pas être reproduits."
Examinez cette expression soigneusement. Elle recouvre beaucoup de bons sens. Ne dit rien de si une chose est bonne ou mauvaise, louable ou pernicieuse. Par exemple : après que quelque chose ait été découvert ou créé, personne - chacun, n'importe où, jamais - ne   peut plus  devenir le premier à avoir fait cette découverte ou création. "Le premier" ne peut pas être répété.
La plupart des autres prix vantent le bon ou raillent le mauvais. Le monde semble en général aimer classifier des choses comme étant l'un ou l'autre. Les Prix Nobel Ig de côté, la plupart des prix,  sont clairement conçus pour sanctifier la bonté ou le mauvais état des destinataires. Des médailles olympiques vont chez de très bons athlètes. Les prix  des Plus mauvais habillés vont chez des célébrités mal parées. Des prix Nobel vont chez des scientifiques, des auteurs et d'autres qui excellent.

Le Prix Nobel Ig n'est pas comme ça. L'Ig, comme on le sait honore la grande confusion dans laquelle la plupart d'entre nous existe la plupart du temps. La vie est embrouillante. Bon et mauvais deviennent tout mélangés. Il peut  être dur de distinguer le YIN du YANG

Gagner un Ig n'a nullement obscurci les perspectives pour n'importe lequel de ces individus de gagner un Prix Nobel un jour. Cela lève une autre question qui doit être mentionnée. Le Conseil d'établissement Nobel Ig suit le même dicton que l'on dit   inspirer les médecins : "d'abord, ne faire pas de mal."
Il y a dans ce monde des gens qui sont rapides pour juger, condamner et punir d'autres. Certains de ces gens malheureux sont dans les positions d'autorité et pourraient être inclinés à, disons, "punissez et ridiculisez quelqu'un dans son laboratoire qui gagne un prix imbécile, sans signification".
Parce que nous savons que tels gens existent, le Conseil d'établissement Nobel Ig consulte les scientifiques qui ont une considération forte pour un Ig, afin de demander si la victoire pourrait  causer des difficultés professionnelles. Dans des cas où il semble y avoir un risque on n'attribue pas le Prix à cette personne, mais va au lieu de cela à quelque autre, l'âme également digne. Jusqu'à présent, c'est arrivé dans environ six cas.
Beaucoup plus commun est le cas où un individu ou un groupe plaident longuement et fortement pour recevoir un Ig. Jusqu'ici, seulement un Prix est parti chez de tels chercheurs.

Les chercheurs qui reçoivent les Ig sont en général très contents, viennent chercher leur prix et font de merveilleux discours de remerciements :

  • Steve Penfold, de l'Université York, qui a gagné un Prix Nobel Ig 1999 parce qu'il faisait sa thèse de (doctorat) sur la sociologie de magasins de beignet canadiens.
  • Len Fisher  qui a calculé la façon optimale de tremper un biscuit et qui a partagé son 1999 Ig le Prix de Physique Nobel avec Jean-Marc Vanden-Broeck   (Vanden-Broeck a calculé comment faire pour qu'un bec de théière  ne goutte pas).
  • Willibrord Weijmar Schultz, Pek le fourgon Andel et Eduard Mooyaart de Groningen; et Ida Sabelis d'Amsterdam,  qui ont gagné le le Prix de Médecine 2000 pour leur rapport illuminé  "l'Image de Résonance Magnétique d'Organes génitaux Masculins et Féminins Pendant le Coït et l'Éveil Sexuel Féminin."
 

Quelques gagnants 2002 (thème et auteurs)

BIOLOGIE : " Démonstration de l'importance de la présence humaine dans l'élevage des autruches  : Continue, elle stimule les parades nuptiales et favorise la reproduction."  (Norma E. Bubier, Charles G.M. Paxton, Phil Bowers et D. Charles Deeming du Royaume-Uni)).'

PHYSIQUE : "Démonstration que la  disparition de la mousse de bière suit la Loi mathématique de Décroissance Exponentielle." Après avoir observé trois marques différentes,  proposition d'une méthode d'identification des bières par la mesure de la vitesse de disparition de la mousse.(Arnd Leike de l'Université de Munich)

RECHERCHE INTERDISCIPLINAIRE : "Enquête complète sur les peluches qui se forment dans les nombrils humains. Démonstration notamment qu'elles sont majoritairement de couleur bleue. Des échantillons expédiés par 4 799 personnes ont été étudiés. Le profil type du nombril pelucheux s'avère appartenir à un homme plutôt poilu et âgé : la bedaine et la pilosité, notamment entre le pubis et le nombril, seraient les facteurs primordiaux d'apparition de ces peluches. (Karl Kruszelnicki de l'Université de Sydney)

MATHÉMATIQUES  : "Rapport analytique sur l'Évaluation de la Superficie Totale des Éléphants indiens." (K.P. Sreekumar  G. Nirmalan de l'Université Agricole Kerala, Inde)

ÉCONOMIE  : "Application du concept mathématique de nombre imaginaire à la gestion d'une entreprise " (Il y a tellement de lauréats de l'IgNobel d'économie que leurs noms n'ont même pas été mentionnés. Ce sont les responsables et auditeurs d'entreprises comme Enron, Arthur Andersen, Merill Lynch, Merck, Qwest, Tyco, Xérox et de nombreuses autres impliquées dans des faillites retentissantes liées à des comptes truqués )

 

 

Danièle Sallenave
Née en 1940; Normalienne, agrégée de lettres, a publié une vingtaine d'ouvrages
Mon journal de la semaine dans Libération du 6/10/02 (extraits)

Dimanche : Dimanche à la campagne, je sors tôt acheter les journaux, ceux qu'on trouve au tabac-buvette déjà fort garni de solides buveurs  exclusivement mâles : Le Parisien édition Oise, Le figaro, des "chasse et pêche", Rustica et semi-pornos du genre Gros Seins, eh oui, ça existe ! C'est bien plus intéressant de lire le Parisien que Le Monde ; tout l'été on y a publié des reportages formidables sur les "quartiers sensibles", comme on dit, de ce département et Dieu sait s'il y en a, à Creil, Montataire, Nogent-sur-Oise. Un ton juste : ni le politiquement correct de la Gauche Rose Bonbon qui minimise tout, ni le tout sécuritaire de la Maison Bleue. Et voilà un journal qui n'établit pas mal ses priorités : aujourd'hui c'est le naufrage du ferry sénégalais, peut-être aurait-on préféré la situation en Côte d'Ivoire, mais c'est tout de même mieux que cinq colonnes à la une (plus deux pages intérieures) sur les mémoires d'une ex-future première dame de France....

Lundi : Colloque au Sénat sur Thomas Jefferson et notamment sur son combat pour la laicité. "Il faut ériger un mur entre les religions et l'État, écrivait-il. Voilà ce qu'on oublie trop souvent; cette Amérique des débuts..Le cléricalisme américain est une recléricalisation, évidente depuis la deuxième guerre : c'est en 1954 (Eisenhower) qu'on a remplacé la devise E pluribus unum par in God we trust......

 

 
Philippe Valery

En marchant jusqu’à la Chine

Lassé d’un travail monotone, ce diplômé de l’Essec a fait, à pied, 10000 kilomètres sur l’un des axes les plus agités de la planète. Il a rencontré l’amitié, et ses plus grande frayeurs ont été ses rencontres avec les loups

«Vas-y Philippeu, tu vas y arriver en Chine!»: Marseille, 8 août 1998. Mi-temps du match Marseille-Nantes. 60000 personnes ovationnent un fada qui annonce, au milieu de la pelouse, qu’il part pour la Chine à pied.

Paris, 5 septembre 2002: au palmarès des libraires du «Nouvel Observateur», «Par les sentiers de la soie. A pied jusqu’en Chine», un livre superbe écrit par Philippe Valéry, figure en bonne place, bien que paru chez un petit éditeur.
Avis à ceux qui ne se sentent pas très bien dans leur boulot et rêvent de grands horizons: cette histoire risque de les secouer sérieusement... C’est celle d’un diplômé de grande école – l’Essec – qui rentre dans une multinationale – Coca-Cola – parce qu’il ne rêve que d’une chose: partir à l’étranger. Après quatre ans d’attente sans arriver à décrocher l’expatriation demandée, il n’y tient plus, il donne sa démission… et décide de partir pour la Chine à pied. Caprice de bobo idéaliste? Détrompez-vous. «Ce que j’ai fait, sur le plan de la formation, ça vaut une création d’entreprise, estime Philippe Valéry, qui a investi près de 30000 euros d’économies dans l’aventure. Il faut une très rigoureuse préparation avec analyse de risque, organisation, audace et rigueur...

«D’ailleurs, je n’ai eu aucune peine à retrouver un bon poste malgré cet intermède qui devait être une année sabbatique et qui a duré trois ans et demi, dont deux ans de voyage.» Embauché par une entreprise allemande, il part diriger sa filiale au Japon. C’est un fait qu’au départ Philippe Valéry n’est pas forcément comme tout le monde: ce sportif endurci avait déjà fait la une de la presse bolivienne pour avoir traversé à 25 ans un désert de sel de 145 kilomètres, à 3600 mètres d’altitude, par – 20 °C la nuit, une première dans la région. Et ses parents qui ont fait le tour du monde lui ont inculqué dès 4 ans le goût du grand large et des langues étrangères. C’est donc à dessein qu’il avait choisi un poste de cadre chez Coca-Cola, l’entreprise la plus mondialisée, sans cacher son vœu d’être muté assez vite à l’étranger, en Asie ou en Amérique latine. Au bout de quatre ans d’attente, il n’en peut plus. La filiale France soutient sa demande d’expatriation au Vietnam, mais au siège d’Atlanta, où tout se décide, c’est non. Pour lui, c’en est trop. Il claque la porte et lance le projet «Route de la soie», longuement mûri. Première étape: se mettre en jambes. Il file en Argentine escalader l’Aconcagua, un géant de 6959 mètres que, plus jeune, il n’avait pu vaincre. Puis, c’est six mois de travail pour monter l’expédition, trouver des sponsors comme Aigle qui lui offre sept paires de chaussures et des vêtements, ou Kodak et Leica qui l’aident pour les photos. Mais son expérience montre que même les entrepreneurs les plus méthodiques rencontrent de vexants aléas: des ampoules aux pieds avant même d’avoir quitté la France et une tendinite à peine arrivé en Italie…

La suite est dans son livre où plus l’on chemine à ses côtés, plus cela devient palpitant. La traversée des Balkans en 1998, à la veille de l’attaque de l’Otan contre la Serbie, est déjà pimentée. Mais ce n’est rien à côté de ses aventures en Turquie, qui elles-mêmes sont de la bluette comparées à ses beuveries géorgiennes et à sa traversée de l’Iran, la police religieuse aux trousses.
Le Turkménistan et ses loups, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et ses montagnes du yéti mènent à l’acrobatique passage en Afghanistan dans un hélicoptère de l’Alliance du Nord du commandant Massoud – seule dérogation à sa marche à pied –, «un de ces vieux coucous pris aux Russes lors de la guerre et dont deux exemplaires viennent de se crasher faute d’entretien», aux côtés d’un marchand d’émeraudes du Panshir paralysé de trouille.
Une séquence qui éclaire à quel point, aux marches de ce pays, l’Occidental doit abolir tout reste de cartésianisme. Alors qu’il demande conseil sur l’itinéraire souhaitable, on lui rétorque que la zone se remodèle tous les jours selon les fluctuations d’alliances totalement mouvantes: «Ici il y a 3000 vallées et 3000 commandants.» Ce que les Américains découvriront avec stupeur lors de leur traque d’Al-Qaida.

Le passage ici exige qu’on soit capable de discuter de Jésus en dari, variante locale du persan, avec des étudiants islamistes un peu patibulaires, en avalant des cols à 6000 mètres, dans une sorte de «bout du monde» où l’on croise d’improbables et héroïques Médecins sans Frontières, dont un reconverti de la marine marchande. Ce voyage en Moyen Age suit la remontée du couloir de Wakhan, jusqu’aux sources de l’Amou Daria, dans le Pamir, qui mène à la Chine: «Plus je m’y enfonce, plus je remonte le temps. A côté, l’Afghanistan sans électricité paraît moderne.» Les gamines mariées à 12 ans ne connaissent pas leur âge: «Je suis née l’année où on a acheté le cheval.»
Avec une caravane kirghize de yacks, côtoyant des pentes à 70 degrés, il tente un passage vers la Chine. Mais même ici on croise des agités qui ne parlent plus que de dollars, ce qui énerve le placide Valéry: «Je dois être un peu à la recherche de mon Graal, d’une espèce d’idéal de relation entre les hommes, et ces quelques matérialistes pitoyables sont bien éloignés de leurs aînés, toujours dignes et irréprochables.» C’est finalement un détour agrémenté de quelques jours de captivité au Pakistan qui lui ouvrira, via la Karakorum Highway et un col à 4733 mètres, la route de la Chine. La fin est belle. Valéry, dont le ton pudique a été jusqu’ici relativement dénué de lyrisme, se laisse aller, lorsqu’il touche à son objectif, la ville de Kachgar, à une évocation émouvante. Il dédie son odyssée à «mon frère, cet inconnu», un handicapé rencontré… au sommet de l’Aconcagua, dont il n’a jamais compris comment il avait pu gravir les 6959 mètres avec des béquilles, ne parlant pas sa langue. «Quand on a vu une chose pareille, ce que la seule volonté peut réaliser, on se dit que l’on n’a pas le droit de renoncer à une entreprise que l’on a décidé d’accomplir.» Il mettra dix-huit mois à relier, en un superbe livre (dont la moitié des droits iront à deux ONG), les souvenirs de rencontres avec près de 1000 personnes, dont les noms ont été méticuleusement notés en chemin sur des cahiers. La constante du livre, c’est que des Balkans jusqu’à la Chine l’accueil fait au marcheur inconnu a été partout d’une incroyable chaleur, l’alcool, le thé et le foot faisant office de langue universelle. Il raconte ce que le touriste ne voit et ne verra jamais. Et il a pris la bagatelle de 10000 photos, dont les plus belles, en noir et blanc, font vibrer son livre.

«Pour ces innombrables pauvres qui m’ont nourri et exigé que je dorme chez eux, la promesse de mes photos a constitué le remerciement auquel ils tenaient le plus.»

Celui qui avait décidé de partir non pas à la rencontre de lui-même mais à celle des autres (il n’y a quasiment pas de photos de lui dans le livre) nous quitte, sur le marché de Kachgar, dans une méditation nostalgique: «Avant de rentrer dans l’Occident frénétique, je dois essayer de saisir une dernière fois un peu de l’illusion fluide et diaphane du temps alangui.»

PATRICK FAUCONNIER L’éditeur des bourlingueurs courageux «Par les sentiers de la soie. A pied jusqu’à la Chine». Ce beau livre ressemble à son auteur: carré, précis, pudique, tolérant. Il est édité chez Transboréal, une petite maison qui s’est fait une spécialité de «promouvoir le travail d’auteurs, d’illustrateurs et de photographes ayant fait preuve d’abnégation et de courage lors d’études ou de voyages au long cours marqués par une réelle connivence avec le milieu humain ou le monde naturel».
Le catalogue Transboréal ne décevra pas les globe-trotters. 23, rue Berthollet, 75005 Paris (01-55-43-00-37).

Pour changer d’air L’Association Congés solidaires aide des salariés à consacrer une partie de leurs congés à une mission humanitaire, avec une participation financière de leur employeur. Tél.: 01-49-29-89-99. Le congé de solidarité internationale est un droit reconnu dans le Code du Travail, comparable à un congé sabbatique. «Le Guide des jobs pour changer d’air», 8,40 euros, Dakota Editions. Des milliers de jobs dénichés par une enquête auprès d’employeurs dont les noms ont été rapportés par des voyageurs.
Le Club Teli, association de 3000 globe-trotters qui s’échangent tous leurs tuyaux pour trouver des jobs, pour une cotisation de 36 euros par an (www.teli.asso.fr ou 04-50-52-26-58).

Nouvel Observateur, N°1979, 10/10/2002

 

 

 

Lynn Hill, 41 ans. La grimpeuse américaine a ouvert la voie d'une escalade nourrie de gymnastique, de zen et de tai-chi.
Roc amadoué

Lynn Hill en 9 dates
1961 Naissance en Californie.
1975 Première expérience d'escalade.
1977-1980 S'installe dans le Yosemite Park (Californie) et se consacre à l'escalade.
1986 Premier voyage en France, découvre l'escalade artificielle.
1989 Frôle la mort dans un accident, dans le sud de la France.
1992 Abandonne la compétition pour se consacrer aux «grandes voies».
1993-1994 Réalise la première ascension en libre d'El Capitan, par la voie du Nose au Yosemite.
2002 Publie son histoire. 2003 Son premier fils doit naître en avril.

 

Ce matin-là, il fait un froid de chien. Brad, le fiancé, cuisinier et grimpeur, engoncé dans un anorak jaune de haute montagne, ronchonne en mettant du bois dans la cheminée. Lynn semble insensible à l'humidité de la vieille maison de Fontainebleau, son pied-à-terre près de Paris. Qu'est-ce que ce froid-là quand on a connu la nuit solitaire sur une paroi de 1 000 mètres en granit vertical?

En 1993, la grimpeuse a réalisé un exploit jamais réédité depuis : l'ascension en libre d'El Capitan (Yosemite Park, Californie), par la voie du Nose. Filmée sous toutes les coutures par une équipe de reportage pendue à la paroi comme des araignées. Un exploit qu'elle a redoublé l'année suivante, en vingt-trois heures, dans un style encore plus pur, entre danse et gymnastique. Ses mouvements inspirés du tai-chi lui ont permis de passer des surplombs sur lesquels de grands grimpeurs s'étaient cassés les dents. Des fissures minuscules taillées pour les mains de poupée de Lynn. Des vires si étroites qu'il fallait mesurer 1,57 m pour pouvoir y trouver le repos avant d'attaquer des longueurs encore plus difficiles.

Sans jamais avoir tâté du rocher, elle aimait déjà escalader: une photo de famille la montre, enfant, en train de grimper comme un ramasseur de noix de coco au lampadaire devant la maison. Lynn, cinquième de sept enfants, fille de famille californienne modèle de Los Angeles, a toujours aimé mettre la barre très haut. Dans le «ventre mou» de la fratrie, entre grands et petits, exister, pour elle, c'était ressembler aux garçons. Chez les scouts, ses frères font des feux de camps, campent à la belle étoile. Elle, dans les groupes de filles, confectionne des tentures murales ou des objets de décoration. Quand elle se plaint de cette différence à sa mère, celle-ci répond : «Tu marches au rythme d'un autre tambour.»

Pas le genre à se laisser enfermer dans ce que doit être une fille américaine des années 70, Lynn laisse vite tomber la gym. Elle lui a donné ses premières sensations de jeu avec la gravité. Et la clé de la réussite d'un mouvement périlleux, «une fois engagé dans l'action, il ne faut pas se laisser submerger par le doute». Mais à 12 ans, Lynn ne supporte déjà plus les positions de mains chichiteuses , ni les sourires forcés aux juges. Cette comédie de la féminité soumise, elle n'a jamais accepté de la jouer. Dans Ma vie à la verticale (1), elle note : «L'escalade était la première activité réellement égalitaire que je pratiquais.» Une passion découverte par hasard : sa grande soeur avait un petit ami très bon grimpeur qu'elle suivait sans enthousiasme. Lynn, elle, a immédiatement accroché à la grimpe lors d'une échappée dominicale.

Pendant vingt ans ensuite, elle essaye de montrer que les femmes peuvent aller un peu plus haut que les hommes, s'alliant à Mari Gingery pour former la plus forte cordée féminine des Etats-Unis. Lynn Hill, garçon manqué à 7 ans, n'a pas renoncé à son allure de femme pour autant. Cheveux blonds californiens, sourire ravageur, bronzage du grand air, yeux bleus joliment ridés, elle a posé pour plusieurs campagnes de publicité. Notamment pour un parfum, en drapé pourpre, adossée à un caillou, une corde de rappel négligemment roulée dans la main.

La décennie 80 va faire d'elle une des pionnières de l'escalade artificielle, des compétitions organisées en salle, avec circuits internationaux et primes à la clef. De ces années, elle reste l'une des grimpeuses les plus titrées de tous les temps. Elle est le prototype de l'athlète professionnelle, vivant petit à petit de contrats avec des sponsors (comme aujourd'hui), de primes, ou de voitures gagnées dans des concours aux quatre coins du monde. Pourtant, elle va s'éloigner de la compétition : «L'ambiance avait changé, dit-elle. On s'amusait de moins en moins.» Autour d'elle, des anorexiques, des boulimiques stressent à l'idée de ne pas gagner. Lynn Hill n'a jamais grimpé pour ça. Avec d'autres, elle a marqué son temps en inventant un nouveau style : le libre, la fluidité sur la roche. Une recherche presque métaphysique du beau geste, de la voie la plus pure. Balançant entre esprit zen, vie en communauté au pied des voies et médiatisation à outrance.

Lynn et ses amis de l'époque ont tout fait pour joindre les deux bouts, acceptant des boulots de croupiers ou des matchs de boxe féminine, revendant de la marijuana ou ramassant des canettes de bière. En surfant sur la vogue des sports extrêmes qui se développent alors. Relevant des défis idiots pour la télévision, comme celui de grimper en haut d'une montgolfière en plein vol... De quoi oublier provisoirement qu'on peut mourir d'une chute, que l'escalade reste un sport dangereux, même pour la plus douée des acrobates. En 1989, le retour à la réalité sera brutal. Une voie d'échauffement, dans le sud de la France, au nom qui glace : Buffet froid. Lynn oublie de nouer sa corde au baudrier, et au moment de redescendre s'assied croyant être retenue, dégringole. Dans un dernier réflexe de gymnaste, elle parvient à s'accrocher à un arbre, qui lui sauve la vie. Hôpital, rééducation, doutes. En bonne américaine positive, elle «lit» aujourd'hui l'accident comme la preuve qu'il fallait réorienter de manière positive son énergie, cesser de la gaspiller. Le Nose, quatre ans plus tard en est la preuve.

La consécration du Nose la fait passer à autre chose. Pas d'alpinisme. Trop froid, trop dangereux, «trop d'ego», tranche-t-elle. Nombre de ses amis, sa famille de substitution des falaises, sont morts, happés par la montagne. Elle est passée au travers une fois et espère ne pas mourir de manière «terrible». Sa passion quasi charnelle pour les rochers (une falaise dans le soleil au Yosemite lui tire des larmes), elle l'assouvit en ouvrant des voies dans la baie d'Along, à Madagascar ou au Kirghiztan. Mais sans pression.

VRP de luxe pour les marques de matériel de montagne, Lynn voyage, renouant avec les racines européennes d'arrière- grands-parents, italiens. Elle se sent chez elle en France, dont elle parle la langue et où elle a acheté une maison dans le Sud. Pour fuir les Etats-Unis, paradoxalement étouffants : «En Europe au moins, les villes ont de vrais centres, où les gens aiment manger de bonnes choses.» Cultive sa passion pour les philosophies orientales. Fini l'obsession de l'entraînement, de la force dans les doigts, de la préparation mentale. En avril, son premier enfant naîtra. Un garçon. Enceinte, elle ne peut s'empêcher de grimper, doucement.

 

Par Muriel GREMILLET Libération du vendredi 03 janvier 2003

Frédéric Schiffter

C'est un adepte du "blasement" et de Clément Rosset, ce modèle de lucidité, cet incontestable arpenteur de la philosophie tragique.
Négligeant Kant, Aristote et Sartre, Frédéric Schiffter préfère fréquenter Montaigne, Aymé, Flaubert, Schopenhauer, Gainsbourg, Houellebecq, Marx, tendance Groucho.

On connaît Frédéric Schiffter pour l'essai iconoclaste dans lequel il condamne les philosophes chichiteux que le réel dégoûte et les blablateurs dont le métier est de vendre de l'utopie aux imbéciles. Autant dire la quasi-totalité des grands auteurs et des donneurs de leçons patentés qu'il a pour mission d'enseigner.
S'il avoue son impuissance à lire Malebranche et Hegel, il ne cache pas son enthousiasme pour les moralistes : De La Rochefoucauld à Nietzsche, de Chamfort à Gracian, qui ont le génie de faire tenir une pensée profonde dans une phrase courte et la vertu de rendre, non pas plus savant, mais plus fort devant l'adversité.
Un style que pour notre bonheur lui-même pratique dans ses livres.
On voit par là que tout destinait Frédéric Schiffter à la dépression. Clément Rosset est également passé par là.
Trop de clairvoyance et pas assez d'illusions nuisent gravement à la santé.

Nouvel Observateur/ Jérôme Garcin

 

François-Marie Banier

François-Marie Banier fêtera ses 56 ans le 27 juin 2003.

Enfance. «Mon père était publiciste, ma mère femme française. C'est à cause de mon père que j'ai attrapé le virus inconscient de la photographie. Il recevait tous les illustrés, Vogue, Jardin des modes, Elle, Modes & Travaux, etc. Mon père était Hongrois, il est venu en France dans les années trente, et c'est pour cette raison que j'aime à la folie ces photographes géniaux que sont Brassaï, Kertész, Moholy-Nagy. Avec mon père, on a raté notre rencontre. Nous étions trois enfants, tous nés en juin, étrangers les uns aux autres. C'est l'identité de l'autre que je cherche à travers la photographie

Rue. «J'ai vécu tout de suite dans la rue, et c'est là que j'ai eu le goût des vagabonds. J'ai cherché la vérité, le goût des êtres les plus vrais, les plus francs. D'abord les clochards, ensuite les artistes. C'est comme ça, je parle avec Yves Saint Laurent, je connais Horowitz ou Nathalie Sarraute par coeur, et beaucoup d'autres aussi. Je suis à l'écoute de leur recherche, de leur manque. Je viens d'une famille qui n'existe pas, et je suis l'ami qui n'existe pas.»

Pose. «Je déteste la pose en photographie, qui est l'archétype de la photo ratée puisqu'elle est voulue. J'ai l'obsession de faire renaître sur le papier des moments qui vont devenir impérissables. C'est ça que je cherche, c'est l'éternité. Je la guette, je la repère, je l'attends. La photographie ne se révèle qu'au tirage. Lorsqu'on est devant ce rectangle ou ce carré. Est-ce que l'autre est là tout entier ? Est-ce qu'il joue la comédie ? Et comme une photo peut être ennuyeuse, j'ai commencé à écrire dedans. Une photographie, c'est se raconter une histoire ; écrire sur une photographie, c'est lui raconter une histoire.»

Peinture. «La peinture est venue naturellement. C'était une joie de revoir certaines photographies et de pouvoir changer la couleur du ciel ou de glisser un souriceau entre les jambes de Johnny Depp... Tout à coup, c'est l'intrusion d'un monde nouveau chargé de souvenirs et d'un autre futur. Je peins sur les photos depuis 1994, et c'est comme un état de furie. On est assez proche de la folie quand on fait ça, on est quelqu'un d'autre dans une au tre réalité. On devient soi-même visionnaire. C'est bien Victor Hugo qui a arrêté de faire tourner les tables, hein, parce qu'il a failli devenir fou ?»

Man Ray & Compagnie. «J'ai connu Man Ray grâce à Dali et à Marie-Laure de Noailles. Il avait 80 ans, moi 18. Et il ne cessait de me répéter : mais je ne suis pas photographe, je suis peintre... J'adore Nadar, son intensité, sa simplicité et ce regard qui statufiait. J'ai aimé Diane Arbus, violemment. Et puis Robert Capa, quelle force, et aussi ce grand reporter, Don McCullin. Il a une vision panoramique et juste, il est au plus près du tremblement de terre que sont toutes ces photographies de guerre. J'ai bien connu Horst, et Lartigue, notre Miró de la photographie.»

Paysages. «Non, je n'ai jamais photographié de paysages. Pour dire la vérité, le paysage, c'est compliqué. Il faut trouver la distance juste. Avec les gens, j'y arrive grâce à mon enfance bancale. Mais je ne fais pas de nus non plus, vous l'avez remarqué ?»

Le temps arrêté. «Photographier, c'est plonger au coeur de l'humain. Il y a une philosophie derrière tout ça, un recul, des limites aussi. J'ai connu beaucoup de gens aujourd'hui morts. Je pose juste un regard sur leur vie. Les médecins font des constats de décès, moi, je fais des constats de vie.»

 
Yannick Haenel

"La littérature, telle que depuis plusieurs années "Ligne de risque" en élabore la définition nouvelle, est une manière d'inventer par le langage de nouvelles jouissances,. Ce qui s'écrit dans le langage de l'usage, ou dans celui, plus chichité, du "littéraire", n'accède plus qu'à la moisissure des expériences déjà répertoriées. (...) Seules comptent à nos yeux les expériences où se déploie un langage qui soit en même temps une pensée ; et où chaque phrase devienne monde".

"Il faut déplaire à beaucoup pour vraiment plaire à quelques-uns".

" C'est une solitude qui absorbe chaque instant. Une solitude retentissante, mais à retardement. Une solitude de derniers étages, une solitude d'éclats comprimés, qui ne vit que d'elle-même, c'est à dire de tous les élans possibles, et de tout ce qui existe, des millions de visages qu'elle a retenus en elle comme une araignée, et à qui elle s'adresse en silence. Une solitude qui respire en permanence la violation, le surchauffement, la froideur. Une solitude peuplée de gestes microscopiques, et qui les promène lorsqu'elle sort avec eux au jour. Une solitude qui ne dessere pas le poing fermé sur sa propre clef. Qui est un mystère à ses propres yeux. Qui s'apparente aux chambres vides du barillet dans la roulette russe".

 

 

 
François Meyronnis

"L'époque actuelle est celle du nihilisme accompli. A chaque fois que quelqu'un énonce cette évidence, il se trouve un imbécile pour lui reprocher de brandir les bannières de la destruction. Or l'accomplissement du nihilisme est précisément cette période où il cesse d'être une opinion, que tu embrasses en concurrence avec d'autres, pour devenir le régime dominant du monde."

"Dorénavant une œuvre littéraire doit être arrachée pied à pied aux conditions qui la rendent impossible. Elle ne peut venir que d'une résistance au profilage, tel que le façonne le on-dit à l'heure du réseau".

Dans sa volonté de lutter contre ce "piétinement intellectuel", Meyronnis, cette fois-ci, n'a pas choisi le roman, contrairement à Haenel, mais un gros livre plus théorique, bien qu'il soit plein d'ironie aussi, et émouvant, notamment au sujet de Bernard Lamarche-Vadel (Meyronnis avait 17 ans lorsqu'il l'a connu), de son œuvre et de son suicide. Il y est question de Nietzsche, évidemment, et aussi beaucoup de Heidegger, ce qui est toujours très mal vu, autant que de Parménide, Rimbaud, Kafka, Céline, Artaud, Genet, Joyce, Tchouang-tseu, Sade, Debord et quelques autres, avec une insistance toute particulière sur le mouvement Dada, et de manière plus personnelle encore sur Lautréamont : "Il y a eu Breton et Aragon en 1917, Tel Quel et les situationnistes en 1967. En 1997, la revue Ligne de risque réactivait à son tour Lautréamont".

"Je ne lance mes phrases ni vers ceux qui rejettent le ravissement d'être lucide ni vers ceux qui grattent leur souffrance de manière stérile", précise-t-il. Il veut s'adresser à "un esprit libre" qu'il incarne en le tutoyant.

" A quoi sert-il de débusquer, derrière les évènements, telle ou telle formation de puissances, avec des buts précis ? Ces formations existent, pourtant, mais fondues dans le Consortium planétaire, figures transitoires déjà oblitérées au moment où elles se constituent, n'ayant d'autre intelligence que celle du réseau...Le terrorisme islamiste, même s'il affecte de constituer une contre-polarité en face de la domination de l'Occident, n'est en réalité qu'une figure du Consortium, attirant vers lui les demi-portions de la haine."

Nietzsche disait : « Le désert croît. » Il suffit de relire quelques pages de Barthes et de les comparer à ce qui prévaut aujourd'hui pour mesurer à quel point le désert s'étend. Les écrivains se muent en aphasiques bavards.

 
Bernard Stiegler

Né en 1952, ce disciple de Derrida, philosophe de la technique dirige l'Ircam depuis 2001. A lire aux éditions Galilée " Aimer, s'aimer, nous aimer".
Bernard Stiegler, à partir de la montée du FN, de la tuerie de Nanterre (8 membres du conseil municipal assassiné), cherche à comprendre les ressorts de ce qu'il nomme la "misère symbolique", mère de toutes les souffrances et pourvoyeuse des catastrophes à venir. Le philosophe les pressent nombreuses et imminentes.
Notre état contemporain d'individus-consommateurs, appartenant à une foule indifférenciée d'individus-consommateurs, reproduisant à peu près en même temps les mêmes actes de consommation, soumis aux mêmes injonctions ou aux mêmes manipulations de la part notamment des médias de masse, détruit peu à peu tout sens de notre singularité, produit un sentiment irrépressible de honte, de dégoût de soi, d'où ne peut surgir que du pire.
"J'essaye de vous dire que l'organisation illimitée de la consommation est l'organisation de la liquidation du narcissisme -ce dont les électeurs sont les victimes- liquidation qui est l'organisation de la folie pure..."
Derrière tout cela, il y aurait donc entreprise de démolition. Principalement accusées, les industries culturelles ! Entendons par là ces empires d'une puissance inouïe, qui cherchent à nous faire adopter des modèles de comportement grâce auxquels nous autres consommateurs acceptons sans cesse de nouveaux produits dont nous ne voulons pas et qui, de surcroît, sont voués à disparaître de plus en plus vite. Dans ces produits, il faut aussi bien compter un téléphone portable qu'une paire de chaussures de marque, une émission de télévision qu'un film, un vêtement qu'une star de la chanson, un écran plat qu'une automobile. En tout ces, des biens symboliques, faisant de nous des êtres censément contemporains.

C'est l'ère du capitalisme hyper-industriel, engagé dans la constitution et la conquête de marchés de plus en plus vaste, soumis à des critères de rentabilité de plus en plus impérieux. Ce capitalisme a prioritairement besoin de dresser les consciences, et pour y parvenir l'arme dont il dispose est le marketing.
Regardons-nous errant parmi tant d'autres semblables dans des centres commerciaux, surgis de nulle part à la périphérie des villes. Regardons-nous un téléphone portable à la main, poussant de l'autre un caddie, le remplissant dans un état d'absence à nous-mêmes, convoitant des produits dont la possession ne nous apaisera pas. Regardons-nous avancer en troupeau tandis qu'une musique d'ascenseur nous murmure à l'oreille qu'il ne passe rien, qu'il ne s'est jamais rien passé et qu'il ne se passera jamais rien. Comme si notre temps propre, notre mémoire ou notre sensibilité n'avaient plus lieu d'être. C'est la fabrique de la folie.
car pour vivre sans être fou, il faut s'aimer un peu. pas trop, mais un peu. Suffisamment pour conserver une certaine estime de soi et la capacité de nouer des liens minimaux avec son environnement. Stiegler dit "narcissisme primordial". C'est le srtict nécessaire permettant à chacun d'exister sans nuire à autrui. Il faut que soit préservée et maintenue une franche séparation entre soi-même et les autres. Notre nouveau malheur d'exister vient  de ce que le capitalisme a aujourd'hui besoin que nous marchions en foule.
Alors pourquoi voter ? Pourquoi voter pour des gens qui ne nous aident pas, nous laissent devenir cela?

Bernard Stiegler a révélé il y a quelques mois avoir passé 5 ans en prison et s'y être découvert philosophe.

  article de bernard Stiegler (monde du 10/10/03)

Denis Olivennes

COMME nombre de faux calmes, il a la jambe nerveuse. Elle martèle, à un rythme de métronome déréglé, le dessous de la table. On y lit l'obligation d'être là et l'envie d'être ailleurs. On y lit surtout ce qu'il y a de plus intéressant chez lui: un léger décalage fiévreux entre l'être et le paraître.

Denis Olivennes, directeur de la Fnac, est un lecteur de Pascal. Il connaît par cœur notre petit traité des vanités humaines. Grandeurs et décadences des puissants. La leçon des Pensées est claire. Les rois n'ont pour eux que l'apparence des rois. Denis Olivennes prend donc bien garde à faire le nécessaire petit pas de côté sans lequel on tombe en soi-même comme caillou dans le puits. Sans lequel on ne devient plus que reflet dans la glace, esprit de sérieux, contentement de soi. Pitoyable devanture de certitudes. Denis Olivennes, né le 18 octobre 1960 à Paris, appartient à une famille de médecins communistes. Son oncle Claude Olievenstein, fondateur d'un service spécialisé dans la lutte contre la toxicomanie à l'hôpital Marmottan, incarne la boussole de son enfance.

« Je voulais alors tout changer. Ironie du sort, je suis maintenant un parfait représentant de l'establishment, classé par Le Nouvel Observateur parmi les 200 personnalités qui comptent en France. Je n'ai cessé de faire des compromis. Je ne me serrerai pas la main à moi-  même. Mais qui du jeune homme ou de moi a raison? J'ai conservé l'élan mais la façon dont il s'incarne n'est plus la même. »

"Il faut bien comprendre le monde mais il faut aussi avoir le courage de l'attaquer par la face nord."

Il devient conseiller de Pierre Bérégovoy dont il dit : Pierre Bérégovoy reste pour moi un modèle de courage et de solidité. Quand vous êtes Laurent Fabius ou Edouard Balladur, vous avez tout un tas d'étais, comme les études, le milieu social ou les amis, pour vous protéger et vous aider à garde de la distance. P. B s'est construit par sa seule force. Sans diplôme et sans appui. Le seul élément de certitudes dans ce cas-là c'est la réussite. L'échec se révèle dévastateur.

Denis Olivennes est son plus sévère juge. railleur en nous disant qu'il « Je reste fidèle aux valeurs dans lesquelles j'ai été élevé.  J'ai une immense admiration pour de Gaulle. J'aime les hommes qui font le contraire de ce pour quoi ils ont été programmés. La chose sur laquelle on ne doit jamais transiger, c'est sa liberté. On doit pouvoir braver l'opinion commune pour défendre des convictions profondes.  Si j'ai une idée forte et qu'elle me conduit à démissionner d'Air France ou à me brouiller avec Laurent Fabius, je le fais. C'est ma vision du courage. Je suis hanté depuis tout petit, non par l'idée de la peur car la peur est normale, mais par l'idée d'être guidé par la peur.

Les rencontres importantes introduisent toujours une césure. Denis Olivennes a appris à agir autrement grâce à Simon Nora et à penser autrement grâce à François Furet.
Ce qui est révolutionnaire c'est quand il y a un avant et un après.
Une fois que l'on a vu un grand tableau ou lu un grand livre, le monde n'a plus exactement la même saveur.

Denis Olivennes est un lecteur de Pascal, Rimbaud, Stendhal, Chateaubriand. Il souligne qu'il n'a aucun mépris pour le divertissement. Il évoque le cinéma américain de l'après-guerre, la chanson française bonne et mauvaise, la vie explosée de Mike Brant. Et puis loue, comme Alain Souchon dans Ultra moderne solitude, la beauté d'Ava Gardner.

Denis Olivennes parIe, à propos de sa trajectoire, de ruptures et de fidélités. Il a su se démettre sans se soumettre. Défendre son âme.

 

Les joueurs de tennis en Coupe Davis

Coupe Davis:retour sur terre Russie: 3, France: 2

Qu'a-t-il manqué à l'équipe de France pour garder le prestigieux trophée? Probablement le brin de folie qui habitait les Russes.

Evgueni Kafelnikov, vieux joueur de tennis de 28 ans, avait "envoyé son ego en Sibérie" et laissé sa place à un jeune de 20 ans pour offrir à la Russie sa première victoire en Coupe Davis. Quatre-vingt-dix ans après la création de l'épreuve. Mikhaïl Youzhny a su profiter de l'occasion pour faire mentir tous les Paul Nizan du monde. Qui dimanche soir aurait pu le convaincre que 20 ans n'est pas le plus bel âge de la vie? Personne, surtout pas Paul-Henri Mathieu, 20 ans lui aussi et tout l'avenir devant lui, mais pleurant comme un gosse, et c'est bien normal, un rêve qu'il venait de laisser s'échapper. Un rêve commun, un rêve partagé. Le malheureux Paul-Henri incarnait toute la tragédie du joueur qui perd le match décisif. La Coupe Davis est une sorte de rédemption collective, l'une des rares occasions d'être ensemble dans un sport où l'égoïsme est, au même titre que le service ou le revers, un coup de base à maîtriser parfaitement.
Mikhaïl Youzhny, donc, est arrivé. Jusqu'à dimanche, cet illustre inconnu, pourtant classé trente-deuxième à l'ATP, était demeuré indétectable dans l'ombre des deux monstres russes du tennis, Kafelnikov et Safin. La France peut regretter qu'il soit sorti de son anonymat. Sacré Youzhny. Mort pendant deux sets puis comme Lazare ressuscité sans crier gare. Il s'est relevé alors que les vautours de la défaite allaient lui manger le ventre, que la peur lui nouait les tripes. Bras crispé, placement hasardeux, le jeune Moscovite avait entamé le match dans l'état mental d'un type convoqué par le KGB et qui essaie de positiver. Dur. De temps en temps, dans un jeu noyé dans la grisaille, fusait un éclair de génie semblable à une fusée de détresse. Un coup d'extraterrestre, souvent un revers, marque des talents purs. On découvrait Youzhny, son bras fabuleux, une créativité d'artiste, une grâce de funambule, tous les ingrédients d'un tennis à haut risque, comme on n'en voit plus guère depuis qu'un Henri Leconte ne joue plus. En général la terre battue apprécie peu ces fanfaronnades et ceux qui s'y risquent rencontrent de graves désillu-sions. Paul-Henri Mathieu se chargeait de transmettre le message. La France menait deux sets à zéro.
Dans les tribunes, Boris Eltsine faisait peine à voir. Au côté de Jean-Pierre Raffarin, Christian Bîmes, président de la Fédération française de Tennis, souriait, conscient que sa modestie naturelle allait cruellement souffrir dans les prochaines heures. Dumas était au Panthéon et Youzhny dans la tombe. Tout se passait comme prévu. Safin était intouchable. On le savait. Kafelnikov, plus vraiment en état de jouer en simple. On s'en doutait, lui aussi peut-être. Sébastien Grosjean, en trois sets, a balayé les derniers doutes du Russe. L'équipe de France avait cru avoir fait le plus difficile en remportant un double d'anthologie grâce à la paire Fabrice Santoro-Nicolas Escudé. Le premier est un maître tacticien, capable de dérégler les meilleures et les plus puissantes machines à jouer du circuit. Il met régulièrement Marat Safin dans l'état d'un buffle agacé par l'insolence des mouches. Après un tel traitement, le tennis du Russe est comme ses raquettes, en miettes. Le second est une lame. Autant Fabrice est poupon, autant Nicolas affiche la maigreur nerveuse d'un chat de gouttière. Une gueule à tourner dans "la Reine Margot". Visage émacié, yeux fiévreux d'un hobereau gascon, Nicolas est un bretteur, un Pardailhan. Il bat la campagne, le ventre vide et l'esprit batailleur, famélique et flamboyant, tourmenté et sûr de lui, orgueilleux vagabond en quête d'une fortune que nulle Gitane tricoteuse de destin n'oserait lire dans sa main. Nicolas Escudé est un romantique égaré dans l'univers du sport spectacle qui poursuit son impossible étoile. "Le sport, dit-il, c'est beau parce que par moment ça ne tient à rien." Il faut ce genre de folie pour ramener le saladier d'argent d'Australie en l'arrachant des griffes d'un Lleyton Hewitt, ce qui revient à disputer un gigot à un caïman au fond d'un marigot.
Voilà ce qui a peut-être manqué à l'équipe de France lors de ce triste week-end: la folie dont il est capable. Cet état où plus rien ne compte, où il faut faire table rase de tout. Parce que l'on n'a plus rien à perdre. Youzhny a su le faire. Dans le troisième set, il a chassé les vautours et, comme disait Pierre Albaladejo quand il commentait les matchs du Tournoi des Cinq Nations, "les mouches ont changé d'âne". Le doute est passé de l'autre côté du filet. Et la Coupe Davis s'est envolée pour Moscou pour fêter sa quatre-vingt-dixième année. On a sablé la vodka plutôt que le champagne.
On s'est alors souvenu de certains commentaires ironiques, voire amusés, sur la préparation de l'équipe russe. Kafelnikov débarquant seul pour s'entraîner à Monaco, quinze jours avant tout le monde. Safin promenant son immense carcasse dans une limousine de luxe et plus préoccupé d'honorer une "famille" riche de jolies filles que d'user ses cordages. Deux stars que tout séparait: l'âge, l'histoire, la manière d'envisager la vie. Pas une vraie équipe, tout juste un rassemblement de circonstance. Oui, mais les deux stars ont fait ce qu'il fallait faire. Marat Safin en remportant ses deux matchs. Evgueni Kafelnikov en ne prenant pas le risque de perdre le second. "Mon ego me disait de jouer, mais mon cerveau me disait que Mikhaïl réussirait un meilleur match que moi, a reconnu la star. J'ai fait au mieux pour les intérêts de l'équipe... Je suis fier de mon choix, il faut savoir laisser son ambition personnelle là où personne ne peut la voir." JEAN-JACQUES CHIQUELIN

Nouvel Observateur Semaine du jeudi 5 décembre 2002 - n°1987 

A tout âge il y a de l'espoir

 Léonard de Vinci qui peint la Joconde à 54 ans,
 Gustave Eiffel qui édifie sa tour à 57 ans,
la comtesse de Ségur qui écrit les Malheurs de Sophie à 59 ans,
Ray Kroc qui ouvre son premier McDonald's à 53 ans,
Louis Pasteur qui découvre le vaccin contre la rage à 62 ans,
Cesaria Evora qui a commencé une carrière internationale à 52 ans...